Comment as-tu découvert l’alpinisme ?
Je suis né dans la région de Solukhumbu, en dessous de la localité de Lukla, la porte d’entrée de la vallée du Khumbu dans la région du Mont Everest. Ma mère est décédée alors que j’étais enfant. Mes trois frères et sœurs et moi-même avons été élevés par notre père, qui travaillait comme porteur sur les sommets de trekking. Je n’ai pas été plus loin que l’école primaire. À 14 ans, je suis allé avec mon père au Mera Peak, un sommet de 6000 mètres dans la région du Khumbu. J’ai donné un coup de main en cuisine, car le cuisinier était malade. Lorsqu’ils sont partis de nuit pour le sommet, j’ai préparé du thé et je les ai suivis. Quand ils sont descendus du sommet, ils se sont réjouis du thé. Mais mon père était un peu fâché. Les invités m’ont donné 700 dollars. Cela m’a motivé à travailler moi aussi dans le milieu de la montagne.
Que s’est-il passé ensuite ?
J’ai commencé à travailler comme porteur à l’âge de 16 ans. Plus tard, j’ai aidé les guides dans leur travail. Puis j’ai travaillé comme « icefall doctor ». Ce job consiste à aménager le chemin à travers la cascade de glace du Khumbu et à l’entretenir pendant la saison. C’est une partie de l’itinéraire pour l’Everest, du camp de base au camp 1. Cette activité m’a amusé au début, mais avec le temps, j’ai remarqué à quel point cet endroit était dangereux. Des séracs se détachent constamment et dévalent en avalanches de glace. Beaucoup de mes amis y ont perdu la vie. J’ai donc été heureux de pouvoir travailler comme guide de montagne sur des huit mille.
Quel a été ton premier huit mille ?
Les gens me demandaient souvent si j’avais déjà gravi l’Everest. Mais je ne l’ai escaladé que plus tard. Ma première expédition sur un huit mille s’est déroulée au printemps 2018 au Kangchendzönga. Nous avons dû faire demi-tour à 8200 mètres en raison du mauvais temps. En automne, j’ai eu la chance de gravir le Manaslu. C’était mon premier sommet de 8000 mètres. L’Everest est venu après.
Aujourd’hui, tu as gravi 13 des 14 somets de plus de 8000 mètres. Il ne te manque plus qu’une montagne pour battre le record actuel : être le plus jeune homme à avoir gravi tous les huit mille. Qu’en est-il ?
Il me manque encore le Cho Oyu. Celui-ci se trouve en partie sur le territoire népalais et en partie sur le territoire chinois. Il n’existe actuellement qu’une seule voie commerciale du côté de la Chine, mais le pays n’a plus délivré de permis depuis 2020 à cause du Covid. Nous avons essayé trois fois depuis le Népal, c’est-à-dire en attaquant par l’ouest dans la face sud de la montagne. Mais les conditions étaient extrêmes et nous étions trop peu nombreux.
Avez-vous reçu le soutien du gouvernement népalais ? Il devrait être dans leur intérêt qu’une voie commerciale mène également au Cho Oyu depuis le Népal.
Non, aucun soutien n’est venu de ce côté. Nous avons présenté notre projet à l’association touristique népalaise, mais ils n’étaient pas intéressés. Pourtant, ils en profiteraient, cela leur permettrait d’encaisser beaucoup d’argent via les taxes et les permis. C’est triste de devoir aller au Tibet pour escalader une de nos montagnes. Le gouvernement devrait nous aider. Nous avons absolument besoin de plus de personnel, entre 20 et 30 personnes. Nous devons réaliser plus de rotations sur la montagne, porter l’équipement et la nourriture en haut et aménager la voie. La dernière fois, nous n’étions qu’une dizaine d’alpinistes, et le travail là-haut est tellement fatiguant. Les travailleurs doivent avoir l’occasion de se reposer et d’alterner les tâches. Cela nous permettrait d’être plus à l’aise avec les vents extrêmes. Mais nous manquons d’argent.
Quelle est ta position sur le thème de la durabilité ? Comment une voie commerciale sur le Cho Oyu pourrait-elle être construite de manière durable depuis le Népal, afin d’éviter des situations similaires à celles de l’Everest ?
C’est là que je vois la responsabilité du gouvernement. Ils devraient imposer une règlementation plus stricte et mener des actions de nettoyage là où il y a déjà un problème de déchets. Les déchets devraient être évacués par des porteurs depuis les camps les plus élevés, puis redescendus par hélicoptère. Je n’ai pas encore réfléchi à la manière de rendre le business plus durable sur le Cho Oyu. Il faut d’abord aménager les voies.
Jusqu’à présent, à peine un peu plus d’une dizaine de personnes ont réussi à atteindre le sommet du Cho Oyu par le versant sud. La dernière fois que Denis Urubko et Boris Dedeshko y sont montés, c’était en 2009. L’Allemand Reinhard Karl y est mort en 1982 dans une avalanche de glace. Tu as déjà atteint les 7400 mètres. Comment évalues-tu la voie – le terrain est-il propice à une voie commerciale sur un huit mille ?
Le Cho Oyu est considéré comme le huit mille le plus facile, mais seulement du côté chinois. La voie sud est beaucoup plus technique, il y a des passages escarpés, nous devons poser des cordes fixes sur les terrains rocheux et la glace vive. J’estime que la voie est environ 50 pour cent plus difficile que celle côté chinois. Cette voie n’est pas faite pour les débutants, mais plutôt pour les alpinistes expérimentés.
Ta dernière tentative sur le Cho Oyu date de janvier. Tu étais accompagné de Kristin Harila, de Norvège, qui a tenté l’année dernière de gravir les 14 huit mille en moins de six mois, et la Britannique Adriana Brownlee, qui veut devenir la plus jeune femme à avoir gravi tous les huit mille. Qu’est-ce qui a mal tourné ?
Oui, nous voulions tenter une ascension hivernale du Cho Oyu. Ce n’était pas ma première expérience en hiver. En 2017 et 2018, j’ai fait partie de l’équipe de l’alpiniste espagnol Alex Txikon, qui a tenté de gravir l’Everest en hiver. En 2019, j’ai réussi le K2 avec les autres Népalais. Les conditions en janvier sur le Cho Oyu étaient très difficiles, nous avons eu beaucoup de vent. Nous avions déjà réalisé un aller-retour vers le camp un, où nous avions déposé du matériel dans nos tentes. Malheureusement, le vent a balayé nos combinaisons en duvet, sacs de couchage et tentes dans une crevasse. J’ai fini par descendre en rappel dans la crevasse, mais je n’ai pas pu tout récupérer. Nous n’avons malheureusement pas pu nous procurer un nouvel équipement tout de suite.
Que signifierait pour vous de battre le record de Mingma Gyabu Sherpa, qui avait atteint les 14 sommets à l’âge de 30,5 ans ?
Cela donnerait un coup de pouce à ma carrière en montagne et m’ouvrirait certainement beaucoup de nouvelles portes. Pour moi, le plus difficile est de trouver de l’argent pour mes projets. Le gouvernement ne m’aide pas, je n’ai pas de grands sponsors, je dois mener des expéditions commerciales pour économiser de l’argent. De plus, j’ai lancé une initiative de crowdfunding via gofundme et quelques alpinistes comme Nirmal Purja me soutiennent. Je suis un peu timide à ce sujet et je n’ai pas d’expérience pour trouver des sponsors. Les records permettent toutefois d’attirer l’attention. Si je ne parviens pas à battre le record pour des raisons de temps, j’aimerais être le plus jeune à avoir atteint deux fois tous les huit mille. Il me manque encore six doubles sommets. Mais il me reste jusqu’à fin mars pour battre le premier record.
En automne 2021, vous avez guidé la Taïwanaise Tseng Ko-Erh, qui se fait appeler Grace Tseng, sur le Kangchendzönga (8586 mètres). On a appris plus tard que vous n’étiez pas sur le bon sommet. Que s’est-il passé ?
Je n’étais allé qu’une seule fois au Kangchendzönga, mais nous n’avions pas réussi à atteindre le sommet. En 2021, je n’avais donc aucune idée de ce qu’il y avait là-haut. Ce jour-là, la météo était très mauvaise. Il s’agit d’une longue arête et nous nous sommes arrêtés à un endroit qui n’était pas le sommet le plus élevé, comme nous l’avons appris plus tard. Mais nous ne le savions pas. Avec Adri (Adriana Brownlee, ndlr), que j’accompagne comme guide dans sa tentative de record, j’y suis retourné au printemps 2022. Cette fois, nous étions au bon sommet, nous avons des photos pour preuve. D’une manière générale, je trouve que la discussion sur les véritables sommets est difficile. Même si on arrive un peu en dessous du point le plus haut, le chemin parcouru pour y arriver reste un grand succès.
Pour quels prestataires travailles-tu ?
Je suis une sorte de freelance et j’accepte des missions de différents prestataires. Actuellement, je travaille beaucoup pour Seven Summit Treks. Adri et moi travaillons sur notre propre projet en plus de nos expéditions vers les huit mille. Nous voulons ouvrir ensemble une agence de trekking. Je dispose du savoir-faire nécessaire pour mener à bien ce projet au Népal et Adri peut trouver des sponsors. Nous ne voulons cependant pas proposer d’expéditions.
Quels sont tes autres projets pour l’avenir ?
J’aimerais me tenir sur les sept sommets, soit sur les plus hautes montagnes de tous les continents. J’ai déjà gravi l’Aconcagua en Amérique du Sud ainsi que l’Everest. Je m’attaquerai ensuite au Denali en Amérique du Nord et au Kilimandjaro en Afrique. Mes deux fils, âgés de six et onze ans, sont aussi importants pour moi. Je travaille dur pour qu’ils reçoivent une bonne éducation. Plus tard, j’aimerais qu’ils gravissent les montagnes pour le plaisir et non pour gagner de l’argent.
Gelje Sherpa
Gelje Sherpa compte parmi les plus grands alpinistes du Népal. Jusqu’à présent, il a gravi 13 des 14 huit mille. Il ne lui en manque plus qu’un pour devenir, à 30 ans, le plus jeune alpiniste à avoir réussi cet exploit. Il a atteint huit de ces sommets en tant que membre de l’équipe du projet « 14 Peaks » avec Nirmal Purja. Et il a escaladé le K2 en hiver avec neuf autres Népalais. Actuellement, ce père de deux enfants se prépare à gravir le Cho Oyu, le dernier huit mille sur sa liste. Il lui reste jusqu’à fin mars 2023 pour y parvenir.
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