Été 2023, chaîne Teton, état du Wyoming. Luke Smithwick (43) prépare ses affaires pour sa prochaine expédition en Himalaya. Son objectif : le Manaslu (8163 m). Mais il n’est pas seulement intéressé par les 8000. Ces 13 dernières années, ce guide de montagne, alpiniste et fanatique de ski a entrepris presque 100 expéditions. Parmi elles, d’innombrables six mille et une descente à ski du Shishapangma (8027 m). Il est étonnant de constater que, lors de ses entreprises dans cette chaîne de montagnes regorgeant de records, il passe généralement sous le radar de la scène alpine mondiale. Luke n’a simplement pas le temps pour de grandes apparitions médiatiques. Pourtant, son projet Himalaya 500 serait absolument digne de faire la une au moins au sein de la communauté du ski.
Himalaya 500 – semble être un projet monstrueux. 500 descentes à ski dans l’Himalaya – quelle est l’idée se cachant derrière ce projet ?
Au fond, ce n’est qu’un chiffre aléatoire. L’Himalaya est connu pour l’alpinisme à très haute altitude ainsi que pour les trekkings. Je veux montrer que le potentiel pour les skieurs est tout aussi gigantesque que pour les alpinistes. Du Pakistan à la frontière entre l’Inde et la Chine, l’Himalaya fait 2500 kilomètres. Tant de kilomètres de formations géologiques diversifiées et fascinantes – il faut quand même quelques descentes pour rendre honneur à cette vaste chaîne de montagne. Skier en Himalaya n’est pas une invention. Il existe des documents qui attestent que déjà au 19ème siècle des skieurs s’attaquaient à ces sommets. Mais l’Himalaya n’est pas encore une destination de ski comme les Andes, les Rocheuses ou les Alpes.
Qu’est-ce qui t’attire encore et toujours là-bas ?
Ce qui m’inspire, ce sont les taches
blanches sur la mappemonde du ski. La phase de planification, où j’explore une nouvelle région pour y faire du ski, est la plus intéressante. Je suis des petits indices qui, je pense, pourraient me faire avancer dans ma quête aventureuse de nouvelles montagnes à skier. Par exemple, lorsque j'entends parler de tempêtes de neige régulières dans une région. Quand je vois des arbres abattus par des avalanches lorsque je grimpe en été. Ou lorsque j'entends parler d'un accès par une gorge à des sommets blanc immaculé. Une seule phrase dans un récit de voyage peut me donner envie d'explorer une région.
Infos de première main :
discussion à propos de l’accès
à une vallée isolée avec les
indigènes à Agsho, région
du Zanskar. Smithwick est
aidé par ses connaissances
linguistiques en ladakhi.
Une sacrée différence par rapport aux
Alpes où il existe presque pour chaque
vallée un topoguide de randonnées à ski.
Il n’y a pratiquement pas d’experts en
matière de ski dans l’Himalaya. Je tente
alors d’engager la conversation avec les
bergers, car ils connaissent mieux leurs vallées que quiconque. Lorsque je parle
de l’Himalaya en Europe ou en Amérique,
beaucoup disent : « J’aimerais bien aller
au Népal » ou « J’aimerais bien voir l’Everest
». Mais la région du Khumbu (où se
trouver l’Everest) n’est qu’une minuscule
vallée de cet immense massif. Je voudrais
en voir et en montrer plus.
Quel était l’élément déclencheur pour ta
passion personnelle pour l’Himalaya ?
Je m’y suis rendu pour la première fois
en 2001. J’ai tout de suite été emballé. À
cause des indigènes. Mais aussi à cause
de la topographie, des immenses dénivelés.
J’y suis resté six mois. Lorsque je
suis rentré, j’ai déménagé en Alaska et j’y
ai vécu dix ans. L’Alaska était exceptionnel,
tout comme les Alpes. Mais j’ai toujours
gardé à l’esprit que ce n’était pas
l’Himalaya. Je devais y retourner. Depuis
2010 j’entreprends huit à neuf expéditions
par année. J’ai un petit appartement
à proximité du monastère de Kopan
dans la banlieue de Katmandu, et aussi
un logement au Ladakh, dans le nord de
l’Inde, à Leh. C’est là que je stocke mon
matériel et, selon la saison, je me rends
dans différentes régions.
Pour les alpinistes les huit mille de
l’Himalaya sont en tête de classement.
Quel rôle jouent-ils dans ton projet
Himalaya 500 ?
Pour l’instant j’ai skié un huit mille pour ce projet et j’en prévois d’autres dans le futur. Mais il y a tellement plus à explorer dans l'Himalaya entre 4000 et 8000 mètres. Ce qui m'intéresse dans le fond, c'est de skier dans des régions inconnues. C’est là l’essence pour moi en tant que skieur big-mountain. Certaines de ces régions sont très sauvages. Comme avant l’ère de l’alpinisme commercial. Sans infrastructure touristique. Dans d’autres régions il y a des cabanes, comme à Hunza au nord du Pakistan.
Pour de nombreux randonneurs à ski et freeriders, la poudreuse reste la cerise sur le gâteau. Quelles sont les chances d’avoir de la poudreuse en Himalaya ?
Dans la vallée de Hunza et au Karakorum on a de bonnes chances d’avoir de la poudreuse. Et bien sûr aussi au Kashmir. Au Népal, Humla au nord, l'ouest et la région des Annapurnas comptent parmi mes préférés. En hiver, ce n'est pas si différent que dans les Alpes ou les Rocheuses. Il est possible de skier sur 3500 mètres de dénivelé. Tu ne dois pas viser les six ou sept mille. La meilleure saison pour les pentes raides est le mois de mai.
Toujours à la recherche
de la neige : Smithwick dans
les forêts de Baba Rishi,
Cachemire.
Là-bas il n’y a pas de bulletin d’avalanche.
Comment t’y prends-tu en matière
de sécurité ?
Je procède de manière très conservatrice et défensive – avec la même mentalité qu’en Alaska. Tu n’as personne qui vient te sauver. Quand tu es blessé tu n’as que l’équipe avec laquelle tu es en route. Ma devise : ne jamais prendre de risque maximal. Je garde toujours à l'esprit la chance que j'ai de pouvoir vivre cette nature sauvage : les gens, la faune unique. C'est ce qui caractérise une expédition à ski.
Combien de temps te faudra-t-il pour skier les 500 lignes ?
J’en ai déjà fait plus de la moitié. J’aimerais bien terminer le projet en 2025.
Et qu’est-ce qui vient après ?
Je ne pense pas que j’arrêterai un jour de faire des expéditions à ski en Himalaya. Lorsque je n’y suis pas, j’ai l’impression de rater quelque chose.
Afin de pouvoir vivre son rêve, Luke Smithwick a fondé une agence d’expédition. L’offre d’Himalaya Alpine Guides couvre un large de spectre entre des trekkings et des expéditions vers des 8000. Les projets à ski y figurent naturellement aussi – allant de l’héliski dans la région de l’Annapurna jusqu’aux aventures lointaines en compagnie de chevaux. Parallèlement, Luke travaille dans l'équipe de test et de développement pour la marque de ski américaine Moment Ski et pour d'autres fournisseurs d'équipements de ski et d’équipement outdoor.
Avec ton agence d’expédition tu participes toi-même au développement touristique de l’Himalaya. Comment est-ce compatible avec ton affinité pour des régions sauvages, peu desservies ?
Je vois régulièrement dans l'Himalaya à quel point la nature est fragile. Je veux donc faire de mon mieux pour la préserver. Ma philosophie est qu’en petits groupes et dans les régions sans infrastructure touristique l’approche de la montagne se fait à pied.
Où trouver encore des
zones blanches ? Course de
reconnaissance dans la région
de Hunza, Pakistan.
Existe-t-il une sorte de tourisme de ski de rando en Himalaya ?
Ce sont les prémisses. Des investisseurs singapouriens se montrent intéressés. Ils souhaitent devenir actifs au Pakistan, au Népal et en Inde. Traditionnellement, le tourisme dans l'Himalaya est dominé par les alpinistes d'Europe et du continent américain. Mais aujourd'hui, ce sont les couches sociales aisées d'Asie qui découvrent ces disciplines. On assiste à un véritable boom des voyages et du fitness. La pandémie de Covid en a été le catalyseur. Au cours des vingt derniers mois, quatre nouvelles compagnies aériennes ont été lancées en Inde. Les stations de ski pourraient donc bien fonctionner. Je pense que ce serait acceptable tant que les régions sauvages sont protégées efficacement contre les développements touristiques excessifs.
Quels sont les véritables intentions de Luke Smithwick avec ses innombrables expéditions en Himalaya ? Dans l'interview en ligne, il n'a pas l'air de chercher à s'immortaliser dans le livre des records avec le plus grand nombre d'entrées possible. En plus de son brevet de guide de montagne, il a deux licences universitaires – une en anthropologie culturelle et l’autre en biologie environnementale. Parallèlement il parle six langues, parmi celles-ci l’Hindi, le Népali, le Tibétain et le Kashmiri. Il en revient toujours à son intérêt pour les habitants des villages himalayens et pour la faune.
Tu passes énormément de temps en Himalaya. Pour la plupart des alpinistes, le contact avec les autochtones n’est qu’un épisode de la voie vers le sommet. Comment cela se passe-t-il pour toi ?
C'est dans les cafés d'arrière-cour de Katmandou ou dans les échoppes de soupe aux nouilles de la vieille ville de Leh que j'ai les meilleures conversations. Je pense qu'en tant que skieur, nous cherchons généralement à entrer en contact avec d'autres skieurs pour obtenir des informations. Mais je ne passe pas mes journées à parler avec les autres du ski ou de la lame d’un piolet. Bien que le ski et l’escalade soient mes activités de prédilection, je préfère parler d’où et quand le léopard des neiges rôdait dans la vallée. Pourquoi le vent dans une vallée vient toujours du sud le soir et pourquoi plus d'une lampe à beurre est allumée à la tombée de la nuit le soir de pleine lune.
Tu plonges donc véritablement dans la culture locale.
Oui, le soir je vais souvent à la rencontre des bergers et je leur parle. Je veux apprendre où ils récoltent quelles plantes sauvages et pourquoi. Il y a tant à apprendre dans ces vallées. C’est tellement plus enrichissant que de regarder sa montre pour vérifier les battements cardiaques ou le chronomètre. Les locaux m’ont beaucoup appris sur l’acclimatation. En tant qu’anthropologue, les hommes m’intéressent autant que les montagnes.
D’abord l’entraînement,
après le plaisir : avec des
entraînements de 15 à 20h de
montée, Smithwick prépare
ses expéditions dans la chaîne
Teton (Wyoming, USA) (gauche) … ce qui s’avère bien
utile pour accéder à la pente
convoitée à 6100 mètres
d’altitude à Tingri, Tibet (droite).
Quels sont les véritables intentions de Luke Smithwick avec ses innombrables expéditions en Himalaya ? Dans l'interview en ligne, il n'a pas l'air de chercher à s'immortaliser dans le livre des records avec le plus grand nombre d'entrées possible. En plus de son brevet de guide de montagne, il a deux licences universitaires – une en anthropologie culturelle et l’autre en biologie environnementale. Parallèlement il parle six langues, parmi celles-ci l’Hindi, le Népali, le Tibétain et le Kashmiri. Il en revient toujours à son intérêt pour les habitants des villages himalayens et pour la faune.
Comment se présentent concrètement tes projets d'aide humanitaire ?
Je le fais volontairement à petite échelle. Parce que j'ai vu que les processus internes des grandes organisations humanitaires engloutissent beaucoup d'argent. Je préfère travailler directement, de personne à personne. Lorsque nous sommes en route et que nous rencontrons un enfant qui a besoin d'une opération, nous pouvons collecter des fonds pour l'emmener à l'hôpital de Katmandou. En d'autres termes, une aide de famille à famille. Ou lorsque nous sommes dans un village reculé de Hunza, que nous laissons les locaux essayer nos skis et que je vois qu'ils sont enthousiastes : nous leur procurons alors 20 paires de skis, les montons et essayons de lancer des programmes soutenus par le gouvernement. Dans l'Himalaya, je pense que chaque projet doit être soutenu par le gouvernement. Ainsi, il sera préservé et ne sera pas noyé dans des intérêts privés. Et c'est ainsi que l’opération se développe. Nous en avons fait une petite institution. «Himalaya Outreach», c'est son nom, une organisation à but non lucratif qui permet à des jeunes de l'Himalaya de suivre une formation approfondie aux sports de montagne et leur fournit l'équipement adéquat.
Y a-t-il d’autres domaines dans lesquels tu t’engages ?
J'ai fondé la Kashmir Avalanche Association dans l'Himalaya occidental. L’objectif du programme est de sensibiliser les communautés rurales à la sécurité dans la neige. Ces contrées sont balayées par de grosses tempêtes. Nous enseignons comment éviter les avalanches et protéger les communautés rurales. Dans le cadre d'un autre projet, j'ai parlé à des classes de l'importance de l'eau potable et distribué des filtres à eau. Mon dernier projet : la collaboration avec l’organisation Leave No Trace. Ce faisant, je fais prendre conscience aux habitants de certaines communes de l'importance de garder la nature propre – pas seulement pour le tourisme, mais aussi pour eux-mêmes.
En parlant de nature et d'environnement, vois-tu des effets concrets du changement climatique dans l'Himalaya ?
Certaines régions deviennent une diaspora à cause des changements environnementaux. Les gens partent parce qu'il pleut trop ou pas assez. Le changement de climat engendre une multitude de bouleversements. L'Himalaya est l'une des régions les plus touchées par le changement climatique, tout simplement parce qu'elle abrite les plus hautes montagnes du monde. Un énorme défi pour l'avenir. Afin de pouvoir l’affronter, il faut des données. Pour cela, je contribue notamment à une base de données globale pour l'Himalaya.
Cela ressemble à de grandes tâches pour lesquelles une vie ne suffit pas.
Probablement, mais j'aimerais laisser mon travail comme une sorte d'héritage, comme quelque chose d'open source. Je ne me lasse pas de ce que je fais. Ce que je fais, n’a financièrement aucun sens. Mais je m’y attelle parce que j’en ai rêvé toute ma jeunesse. C'est maintenant le moment de le réaliser.
Luke Smithwick
Âge : 43 ans
Formation :
Bachelor of Arts anthropologie
culturelle, Bachelor of Science
biologie environnementale, guide de
montagne de l’American Mountain
Guides Association
Sommets et expéditions :
64 six mille sans nom, Mount Everest
North Ridge (8848 m), Dhaulagiri Northeast
Ridge (8167 m), Gasherbrum II
Southwest Ridge (8035 m), Shishapangma
(8013 m) expédition à ski ; plusieurs
premières descentes de six mille
Site : lukesmithwick.com himalaya-alpine.com
Instagram: luke_smithwick
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