Sur les traces du brontosaure : escalade automnale dans le Jura

Au départ de l’arête des Sommêtres le guide de montagne Jonas Allemann nous conseille de laisser les chaussons de grimpe dans le sac à dos. Le mieux est de garder les baskets. Faire de la montagne en baskets ? Nous risquons des commentaires outrés de la part de la clientèle Bächli ! Mais en étudiant la description de l'itinéraire, le conseil de Jonas n’est pas si absurde : qui voudrait grimper 1200 mètres en chaussons d'escalade sur une arête qui ne présente que de temps à autre de courts passages en 2c ou 3b ? Les cloques et les points de pression aux pieds seraient inévitables. Des baskets légères ou des chaussures d'approche sont plus adaptées à ce terrain.

Comme de coutume, des cadres de Bächli sont à nouveau de la partie pour cette quatrième et dernière sortie de l'année du jubilé. Lorenzo Gottardi, directeur du magasin de Lausanne et son collaborateur Yannick Wieser sont déjà encordés. Michael Bachofner, directeur des magasins de Bâle et d'Aarau, et Aline Vogt, directrice du site d'Aarau, forment la deuxième cordée.

Pour Aline, cette sortie sera une première – cette ancienne footballeuse n'a pratiqué la montagne qu'en randonnée, à ski ou en snowboard. Son expérience de l'escalade se limite à la salle de bloc. C’est alors qu’elle confie au guide qu'elle souffre de vertige. Mais elle souhaite relever le défi et déclare : « Je suis accro à l’adrénaline, j’adore les sensations fortes ».

La thérapie d’Aline contre le vertige

Dès les premiers mètres, nous testons le choix des chaussures : après quelques passages faciles, nous contournons un éperon et arrivons dans un dièdre raide en 3b. En grimpant en opposition et en s’aidant des bonnes prises, nous franchissons le dièdre facilement, même en baskets. La voie parcourt de manière variée des petits gendarmes, des béquets et des pointes. S'il n'y avait pas de végétation, l'escalade ressemblerait à une course d’alpinisme. La plupart du temps la progression se fait en simultané. L’assurage consiste la plupart du temps à passer la corde autour des béquets et des petits arbres. Aux véritables passages d’escalade, nous prenons le temps de faire un relais. La longue arête dentelée qui s'étend d'ouest en est dépasse la forêt de 50 à 100 mètres à certains endroits exposés. Elle délimite, derrière le village du Noirmont, les charmantes Franches-Montagnes. De temps en temps, nous nous arrêtons pour boire une gorgée d’eau, grignoter un petit quelque chose et profiter de la vue plongeante sur le Doubs, petite rivière frontalière.

Aline teste l'approche de l'Arête des Sommêtres.

Aline, novice en voies de plusieurs longueurs, ne semble pas du tout gênée par l’ambiance aérienne. Au contraire, elle ne tarde pas à grimper quelques passages en tête sans sourciller. Arrivée au sommet, après environ quatre heures d’escalade, elle admettra avoir suivi une thérapie contre le vertige un peu spéciale : « J'ai fait du parachutisme. Là, ils m'ont appris à me concentrer entièrement sur le processus ». Appliquant ce principe à l’escalade, elle s'est concentrée pleinement sur les prochaines prises et le maniement de la corde. Ainsi, le vide ne lui a finalement posé aucun problème.

Cette course du jubilé avait été conçue comme un road trip d'escalade. Pendant trois jours, l’idée était de se déplacer d'un spot avec des voies de plusieurs longueurs à un autre et de décider spontanément où planter les tentes. Mais comme souvent, les agendas des cadres de Bächli sont surchargés. Passer trois jours ensemble relève presque de l'impossible. Le groupe a donc établi son camp de base sur le terrain de camping de Rebeuvelier. Ce petit village agricole se trouve à près d'une heure de voiture de notre longue arête. Mais pour d'autres beaux spots, cet endroit est parfaitement situé.

Points d'escalade à l'Arête desSommêtres, avant de continuer sur corde courte.

Le passage clé de l’Arête spéciale

C'est notamment le cas pour « l'Arête spéciale », une voie classique dans l'étroite gorge au nord de la petite ville de Moutier, que nous avons parcourue la veille. La course est orientée ouest et ne devait pas se réchauffer trop vite, malgré les 33 degrés de fin d'été annoncés. Pour cette première journée, seul le magasin Bächli de Lausanne était représenté. Lorenzo et Yannick sont tous deux des grimpeurs chevronnés, et c'est tant mieux, car « l'Arête spéciale » s’étend sur sept longueurs. La voie évolue sur une arête calcaire de seulement quelques mètres de large et se veut souvent assez raide.

Rien que l’accès se mérite déjà : une via ferrata spécialement aménagée au-dessus de la petite rivière Birs permet d'atteindre le pied de la voie. Cet aménagement a rendu l'accès beaucoup moins dangereux, raconte le guide de montagne Jonas. Auparavant il fallait traverser la voie ferrée. Ce n'était pas sans danger et il est probable que certains conducteurs de locomotive ont eu le choc de leur vie en apercevant des grimpeurs sur les voies. Heureusement, aucun incident grave ne s'est produit. Notre guide de montagne connaît cette voie ouverte en 1945 comme sa poche. Il l'a déjà gravie une quarantaine de fois, dont une fois en moins de dix minutes ! 

Heureusement, nous ne sommes pas si pressés. Yannick se motive donc pour quelques pas de bloc dans la variante de départ en 6b. Mais cela s’avère hasardeux. Cette variante de la première longueur n’est pas vraiment adaptée à un départ à froid. Les prises couvertes de toiles d'araignée semblent témoigner que ceux qui persévèrent sont plutôt rares. Yannick abandonne lui aussi après quelques mouvements et rejoint le relais tout tranquillement, comme nous, par la voie normale dans le quatrième degré.

À partir de là, l'escalade est très agréable. Au début, nous progressons sur de petites fissures et des réglettes, puis sur des creux et des plats. Une bonne technique de pieds est conseillée. Le rocher a certes perdu sa rugosité d'origine, mais il est d'une qualité optimale et compacte. La dernière longueur ajoute un peu de piment à la voie, avec un passage en 5c+ : les doigts tiennent une fine fissure en opposition, puis les chaussons d'escalade doivent être résolument poussés vers le haut pour trouver l’adhérence. Encore un mouvement dynamique vers une écaille heureusement très bonne – et voilà ! Les derniers mètres dans le quatrième degré ne sont plus qu’une formalité.

Lorenzo prend ses aises dans l'empreinte d'un brontosaure. 

Sur les traces du brontosaure 

Le Jura est bien souvent visité pour ses nombreux et beaux sites de moulinettes. La course du jubilé nous aura démontré que la moyenne montagne entre le Rhône et le Rhin a bien plus à offrir. De retour au camp de base, en feuilletant le topo, nous remarquons de nombreuses voies de plusieurs longueurs. Il y a par exemple le pilier direct de la Balsthaler Klus (8 longueurs, 6b, A0), les confortables Brüggligräte (6-8 longueurs, 3-4a) ou l'arête sud de la Balmflue près de Soleure. Avec ses 14 longueurs en 5c+ cette dernière est considérée comme la plus longue du Jura. N’oublions pas non plus l'imposante Dalle de St-Imier avec des voies variées entre 5b et 6c.

Quel objectif de plusieurs longueurs peut-on envisager pour notre troisième journée ? Pendant que Michael Bachofner – qui fut un chef étoilé dans une autre vie – prépare un excellent ragoût de nouilles, de légumes et de feta, nous consultons la météo. Elle n'est malheureusement pas de bon augure : il ne nous reste qu'une demi- journée, après quoi un front pluvieux mettra fin à la situation caniculaire. Un pronostic qui limite considérablement le choix. Nous optons pour une destination toute proche. Dans la même gorge de Moutier se trouve une dalle en amont de l'Arête du Raimeux, qui propose des voies jusqu’à trois longueurs. Cette dalle inclinée a bien plus à offrir que des voies bien équipées. 

En effet, il y a 150 millions d'années, d'énormes dinosaures marchaient le long des rives de l'océan Téthys à l'endroit même où se trouvent aujourd'hui les spits. Aujourd'hui encore, les empreintes de ces brontosaures de trente tonnes et vingt mètres de long sont clairement visibles dans la dalle calcaire – tantôt sous forme de cuvettes rondes, tantôt sous forme de vagues peu profondes. Les équipes de chercheurs ont dénombré ici plusieurs centaines d'empreintes. Certaines ont un diamètre de plus d'un mètre. Cet endroit devait certainement être un lieu de rassemblement apprécié par les herbivores géants.

Grimper 1200 mètres et toujours en pleine forme – c’est ça, les cadres chez Bächli.

Pour la dernière voie, Aline troque ses baskets contre de vrais chaussons d'escalade. Elle veut perfectionner ses connaissances toutes fraîches dans le domaine des longues voies. Ici elle peut le faire dans une voie en dalle avec des difficultés allant jusqu'au 5a. Les autres grimpeurs chevronnés du groupe restent fidèles aux chaussures d'approche et considèrent cette sortie d'escalade comme une visite touristique – car hé, qui a déjà grimpé dans les pas d'un dinosaure ?

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