Quand Hannes n’est pas occupé à conseiller notre clientèle au magasin Bächli de Bâle, il réalise des projets aventureux en montagne avec son frère. C’est ainsi qu’il a récemment atterri au Bockmattli. L’objectif : les neuf longueurs de l’arête sans nom, combinées à un trekking de deux jours avec nuitée sous tente. Un récit de course avec des éclairs, des sacs à dos trop lourds et une baignoire sur pied.
L’heure est à nouveau venue pour mon frère et moi de partir grimper. Cette fois, nous disposons de deux jours et avons une revanche à prendre : l’arête sans nom, au Bockmattli. Nous y étions déjà allés il y a quelques temps. Malheureusement, il avait plu des cordes durant la nuit. Dans l’espoir que le rocher sècherait rapidement et que nous pourrions tout de même mener à bien notre projet, nous sommes montés, avons commencé à grimper et – le rocher n’étant pas sec – sommes redescendus. Fin de l’histoire.
Cette fois, les choses devraient être différentes. Les prévisions météo sont bonnes : quelques orages de chaleur le soir, mais sinon temps sec. L’idée d’une course combinant escalade et bivouac avait peu à peu germé dans nos têtes ; partir du parking dans le Schwändital avec tous les bagages en direction du Brüggler, s’échauffer là-bas, puis continuer via Scheidegg jusqu’au Bockmattli. Bivouaquer là et, le lendemain matin, s’attaquer à l’arête sans nom, puis revenir dans le Schwändital avec tous les bagages en passant par le Tierberg. Voilà notre idée. Deux frères, deux jours, deux courses.
Soleil oppressant, poids oppressant
Le premier matin, nous enfilons nos sacs à dos. Ils contiennent tout le matériel nécessaire pour notre entreprise : dégaines, nourriture, cordes, sac de couchage, matelas et eau. Beaucoup d’eau, car du chaud est annoncé. Au total, la charge se monte à 14 kilos. Après une première heure de montée dans le brûlant Schwändital, nos cuisses sont en feu et nous sommes assaillis par les premiers doutes sur notre projet. Trop chaud, trop de bagages, trop peu de préparation. Lorsque nous arrivons enfin au départ, nous sommes vidés, comme on se sent généralement à la fin d’une course. Et après deux longueurs dans la face sud, nous redescendons en rappel jusqu’au sol.
Nos pieds font mal. En effet, c’est la première fois de l’année que nous les glissons dans des chaussons d’escalade. Après tout, peut-être que notre projet est trop ambitieux. Malgré cette constatation, nous ne voulons pas abandonner. Après avoir fait une petite pause et nous être rafraîchis dans un névé, nous continuons en direction de Scheidegg. Le soleil est impitoyable et mon casque d’escalade sert surtout à me protéger du soleil. Nous progressons lentement dans cette vallée de la Mort nommée Schwändital.
À un moment donné, nous arrivons au pied du Bockmattli. Selon le radar de précipitations, nous avons encore un peu de temps avant que l’orage n’éclate. Nous en profitons pour manger, nous reposer et faire une partie de Backgammon. Nous installons notre bivouac et nous nous préparons pour une ou deux heures d’intempéries.
Stroboscope céleste
Mais l’orage qui éclate est bien plus impressionnant que ce que nous avons coutume de voir en montagne. Des éclairs et du tonnerre sans interruption. Les éclairs se succèdent. Le ciel ressemble à une soirée techno avec lumière stroboscopique. 21, 22, 23. Puis vient le tonnerre. Un coup après l’autre. Ils semblent former une boucle sans fin au-dessus de nous. On se croirait dans le Mordor. Par chance, les éclairs ne tombent jamais à moins d’un kilomètre de nous. Mais l’orage est tellement puissant que nous peinons à trouver le sommeil. Malgré tout, nous avons de la chance. Le cœur de l’orage n’est pas directement sur nos têtes. Ainsi, nous parvenons finalement à nous endormir.
Deuxième jour de notre course, six heures du matin. Après la nuit agitée et les difficultés de la veille, l’arête sans nom nous semble aussi inaccessible que le K2. Et comme nous l’avons appris un jour, il ne faut pas forcer ce qui ne doit pas être forcé. Nous décidons donc de rejoindre le Bockmattli avec des bagages allégés en traversant Chälen, puis de suivre l’arête étroite jusqu’au Tierberg. Et c’est ce que nous faisons effectivement.
Une déception qui n’en est pas vraiment une
Même si la course ne se déroule pas comme prévu, elle se révèle gratifiante. Nous savourons la liberté de pouvoir nous déplacer sans corde – et sans devoir porter 14 kilos sur notre dos sur l’arête entre le Schwändital et l’Oberseetal. Mon frère reçoit un SMS pour savoir si nous allons bien. Apparemment, le monde a failli s’écrouler à Zurich. Oui, nous avons vraiment eu de la chance, car il semblerait que le spectacle orageux ait été encore plus violent ailleurs.
Nous descendons allègrement au parking. Nous avons voulu en faire trop. Et ce n’est que lorsque nous avons décidé d’en vouloir moins que notre plan s’est transformé en une aventure remplie de beaux moments ; des moments non planifiés. Comme à l’alpage avec cette baignoire qui s’est soudain retrouvée devant nous. Nous nous sommes empressés de retirer nos vêtements mouillés de sueur et de prendre un bain de neige fondue, déconcertant quelque peu les vaches présentes. Aucun spa cinq étoiles du monde n’aurait pu me rafraîchir et me détendre autant que cette baignoire remplie d’eau de fonte.
En définitive, rien n’a marché comme nous l’avions prévu et pourtant, tout était parfait. Je n’ai ce sentiment paradoxal qu’en montagne. Et qu’en est-il de l’arête sans nom ? Nous reviendrons une troisième fois. Mais nous veillerons à être mieux préparés.
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