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En toute légèreté

Kim Strom & Rabea Zühlke, vendredi, 06. mai 2022

Courir, manger, dormir – et savourer : la « Via Grischuna » mène les adeptes de course en montagne sur des trails de rêve au cœur des montagnes grisonnes, de Davos Klosters à St. Moritz. Une traversée de sept jours au paradis des trails, réalisable avec un minimum de bagages grâce aux étapes et aux hébergements.

Se vêtir d’un short, de chaussures de trail running et d’un sac à dos de 15 litres pour parcourir 165 kilomètres et quelque 9000 mètres de dénivelé de Davos à St. Moritz. L’idée peut sembler absurde. Pourtant, elle ne l’est pas du tout ! Grâce aux hôtels où les trail runners sont les bienvenus, aux distances abordables et aux trails extrêmement variés, la « Via Grischuna », que nous avons-nous-mêmes baptisée ainsi, est la traversée parfaite pour les adeptes de course en montagne. Le trail divisé en plusieurs étapes traverse des paysages lunaires arides, suit des cols alpins, longe d’innombrables lacs de montagne aux eaux scintillantes et parcourt d’idylliques villages de montagne et vallées latérales.


Notre équipe composée de quatre membres (le duo de photographes Dan et Janine Patitucci, le coureur Brian et moi-même, Kim) se retrouve un soir d’août au Berghaus Vereina, situé à presque 2000 mètres dans la plus jolie haute vallée des Grisons, éponyme. Nous prenons notre repas dans la salle à manger confortable et nous préparons pour les jours à venir : la « Via Grischuna » nous fera passer par la Jöriflüelafurgga et le Scalettapass, puis nous mènera à travers le Val Bever jusqu’au point culminant de la traversée, la Fuorcla d’Agnel à quelque 3000 mètres d’altitude. Nous suivrons l’ancienne voie romine jusqu’au Pass da Sett, puis mettrons le cap sur le Pass Lunghin et le sommet abrupt du même nom. Ensuite, nous traverserons l’idyllique Val Roseg jusqu’à Pontresina, avant d’atteindre notre destination, St. Moritz, via le haut-plateau du Val Languard. Nous avons donc prévu de sillonner le pays d’Heidi, célèbre en été pour ses lacs aux eaux turquoise, ses prairies et forêts verdoyantes, ses cloches de vaches, ses sommets abrupts et sa délicieuse tourte aux noix. Mais avant de savourer notre récompense sucrée, nous préparons notre minuscule sac à dos et nous mettons en route !


Étape 1

  • Berghaus Vereina – Dürrboden
  • Distance : 23 km
  • Altitude : 1446 m, 1378 m

Après une longue planification et une attente encore prolongée – en raison de la crise du Covid, mais aussi de l’arrivée précoce de l’hiver l’automne dernier – nous trépignons d’impatience à l’idée de pouvoir lacer à nouveau nos chaussures de trail running. C’est encore plus vrai pour Brian, un Américain qui vit en Suisse et qui n’a encore jamais entrepris de course de plusieurs jours avec nous. Tartiné de crème solaire et équipé de deux paires de lunettes de soleil, il part en chantant, un gros paquet de Haribos rangé bien en sécurité dans le sac à dos. Sur des prairies le long du Jöribach, nous suivons le chemin menant aux fameux Jöriseen aux eaux turquoise, tandis que le soleil transperce la brume matinale. La journée est une longue succession de montées et de descentes : pour monter à la Jöriflüelafurgga, le trail devient rocheux, puis nous perdons de l’altitude et passons Wägerhütta, traversons en légère montée le Val Grialetsch et descendons finalement au Gasthaus Dürrboden, les jambes bien fatiguées. Là, des pentes vertes et de petites granges en bois au fond du Dischmatal façonnent le paysage.


Les nombreuses forêts de mélèzes sur la Via Grischuna offrent une protection bienvenue contre la surchauffe en été.


Étape 2


  • Dürrboden – Bergün
  • Distance : 30 km
  • Altitude : 1279 m,  1920 m

Dan, le photographe, range son appareil photo, les objectifs et l’appareil photo de réserve dans son sac à dos. Nous répartissons les autres pièces de rechange dans nos sacs à dos. Aujourd’hui, nous traverserons l’une des régions préférées de Dan : l’étroit Val Funtauna. Mais le défi sera rude : notre étape du jour commence avec la montée ardue de 600 mètres jusqu’au Scalettapass, riche en vues, avant que le chemin ne mène au-dessus de la tranquille vallée et de son torrent. Ciel bleu, prairies d’un vert juteux et lacs de Ravais-ch miroitants : après notre premier temps fort, le Val Funtauna, nous mettons le cap sur notre prochain défi dans un décor presque kitch – la longue descente le long de l’Ava da Ravis-ch, suivie d’une seconde descente passant par l’Alp digl Chants. Et avant de pouvoir savourer une bière blanche dans la traditionnelle bourgade, entre les étroites ruelles pavées et les façades ornées de sgraffites, nous nous attaquons à la traversée vallonnée avec vue sur le Val Tuors et filons en dessous du Piz Darlux tout en décrivant des serpentins pour rejoindre Bergün.


Étape 3


  • Bergün – Spinas
  • Distance : 18 km
  • Altitude : 1200 m, 751 m

Sans grandes différences d’altitude, l’étape du jour a commencé sur de tendres sentiers forestiers, le long de l’Alvra, jusqu’à ce que le chemin traverse la fameuse ligne ferroviaire de l’Albula par en dessous et gagne de l’altitude. Après ces premiers kilomètres, nous pique-niquons dans un décor de livre d’image, au bord du Lais digl Crap Alv, féérique lac de montagne situé à 2291 mètres. Nous posons nos sacs à dos, trempons nos pieds dans l’eau froide et savourons le silence. Avec ses 18 kilomètres et 1200 mètres de dénivelés, cette étape est plutôt courte. Malgré tout, nous évitons de trop nous attarder : à peine quelques minutes plus tard, les bâtons de Janine heurtent le sol rocheux avec la régularité d’un métronome. Nous lui emboîtons le pas. Après une courte montée, nous atteignons la Fuorcla Crap Alv. Du col, nous descendons en pente raide – cette fois sans ménager nos genoux – dans le Val Bever. Spinas, notre destination du jour, ne se trouve qu’à quelques kilomètres en aval, le long du Beverin.


Jour 3 sur la Via Grischuna : se rafraîchir les pieds dans le Lais digl Crap Alv.


Étape 4

  • Spinas – Bivio
  • Distance : 27 km
  • Altitude : 1543 m, 1590 m

Un troupeau de vaches s’avance vers nous en trombe. À peine quelques mètres devant nous, le troupeau se sépare. Le cœur s’emballe – et ce n’est certainement pas à cause de la longue course au fond du Val Bever. Après ce drame évité de justesse, nous devons reprendre nos esprits, sans quoi les serpentins raides qui se présentent à nous deviendront une véritable torture. Dan tient mes bâtons pour me faciliter la montée. Telle une locomotive, nous montons lentement mais sûrement. Les prairies vertes des derniers jours sont loin derrière nous. Elles ont fait place à un paysage alpin minéral aux allures lunaires. Une fois sur la Fuorcla d’Agnel à 2982 mètres, le point culminant de la Via Grischuna, nous admirons le paysage le plus beau, mais aussi le plus aride de toute la course. Après la traversée du second col, la Fuorcla digl Leget, commence notre dernière longue descente de la journée jusqu’à à Bivio, le charmant village au pied des deux cols alpins Julier et Septimer.

Etappe 5


  • Bivio – Sils Maria
  • Distance : 21 km
  • Altitude : 1208 m, 1169 m

Lorsque nous montons sur le rocheux Piz Lunghin, notre unique sommet de la course, il s’arrête de pleuvoir. L’étape suit l’ancienne voie romaine et traverse d’abord le Pass da Sett puis, plus haut, le Pass Lunghin et longe la Via Engadina pour descendre à Sils-Maria. Je l’avais déjà parcourue une fois en automne, agile et insouciante à travers la forêt de mélèzes dorés. Aujourd’hui, cette étape me semble plus raide qu’il y a quelques années – avant qu’on me diagnostique un cancer. Mon sac à dos est plus lourd, rempli de prescriptions et de compléments alimentaires. Je sens le poids sur mes épaules, à côté des stigmates de ma survie. Lorsque je regarde au-dessus du Silsersee et du Silvaplanersee, j’aperçois le village de Sils-Maria, niché entre les lacs aux eaux scintillantes. Je souris et je me sens tout à coup plus légère.


La Via Grischuna traverse un agriculture alpine encore préservée ; regarder la nature y est plus important que regarder la télévision.


Étape 6


  • Sils Maria – Pontresina
  • Distance : 23 km
  • Altitude : 1116 m, 1156 m

Le trail qui monte à la Fuorcla Surlej nous gratifie régulièrement de vues sur les étincelantes eaux bleues du lac de Silvaplana. En dépit de ce magnifique décor, une grande agitation nous attend sur le col en-dessous du Piz Corvatsch : le téléphérique permet à une foule d’excursionnistes, de randonneurs et de familles d’atteindre sans peine ce point de vue photogénique. Nous nous hâtons de traverser cette marée humaine. À peine quelques minutes plus tard, nous avons retrouvé un sentier solitaire et pouvons savourer paisiblement la vue sur l’imposant massif de la Bernina. Ensuite, nous descendons dans l’idyllique Val Roseg, puis rejoignons Pontresina à un rythme tranquille.


Temps fort de l’étape 6 : vues sur le Piz Bernina, au-dessus du Val Roseg.


Étape 7


  • Pontresina – St. Moritz
  • Distance : 22 km
  • Altitude : 1131 m, 1167 m

En théorie, on devrait pouvoir atteindre St. Moritz après seulement six kilomètres, en longeant la vallée à plat, avec un faible dénivelé. Mais nous avons rapidement écarté cette variante pour notre dernière étape. À la place, nous suivons le trail qui mène, par des serpentins raides, au haut-plateau du Val Languard jusqu’à la Chamanna Segantini, nommée d’après le grand peintre Giovanni Segantini. De là, le sprint final descend des marches d’escalier dans le Val Muragl et passe devant le Lej da San Murezzan jusqu’à notre destination : St. Moritz. Brian a écopé de quelques ampoules et d’un coup de soleil. Pourtant, il chante toujours en longeant le lac. Mais comme d’habitude, dès que nous nous approchons de la ville, il se met à grommeler. Et les bâtons de Janine continuent de battre la mesure. Je suis soulagée d’avoir atteint la destination et me réjouis d’une douche, d’un lit – et de nouveaux grands projets de trail running.


La boucle du dernier jour entre Pontresina et St. Moritz, au-dessus du Val Languard, permet de revoir une large partie du trajet parcouru, comme ici, depuis la Chamanna Segantini en direction du Val Roseg.


Photos © Dan Patitucci

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