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Des chaussures d’alpinisme encore plus légères ?

Rabea Zühlke, mardi, 04. juillet 2023

Avec une nouvelle génération de chaussures d’alpinisme ultralégères, les fabricants allient un poids minimal aux caractéristiques d’une véritable chaussure de montagne. De quoi ces modèles légers sont capables, pour qui ils sont
faits et où se situent leurs limites : un aperçu.

En 2013, Kilian Jornet a réalisé l’ascension du Cervin par le Liongrat et est redescendu en 2 heures et 52 minutes. Depuis le côté suisse, le guide de montagne valaisan Andreas Steindl a réussi, cinq ans plus tard, un temps record : de la place de l’église à Zermatt au sommet et retour en 3 heures 59 minutes et 52 secondes. Les records du « Spaghetti Tour » sont tout aussi fous : pour la traversée du massif du mont Rose, Breithorn et Lyskamm compris, qui passe par 18 quatre mille et dure trois à cinq jours pour les alpinistes standards, Ueli Steck et Andreas Steindl n’ont eu besoin que de 14 heures et 35 minutes. Les deux alpinistes bernois Nicolas Hojac et Adrian Zurbrügg ont battu ce record d’environ une heure en 2020 – le record actuel est détenu par l’alpiniste français Benjamin Védrines avec 9 heures et 18 minutes. Certes, les records de vitesse en haute montagne sont difficilement comparables entre eux en raison des conditions changeantes. Mais le « fastest known time » est une notion bien établie dans l’alpinisme moderne (de haut niveau). Une autre notion connue est « fast and light » – rapide et léger. Il est clair que ces records fabuleux ne nécessitent pas seulement une condition physique exceptionnelle et une technique parfaite, mais aussi un équipement au poids optimisé. Dernièrement, les chaussures de montagne ont été beaucoup allégées. Cette gamme de produits évolue à une vitesse inégalée depuis des décennies : la plupart des fabricants proposent désormais des chaussures d’alpinisme ultralégères, conçues pour évoluer rapidement sur des terrains exigeants. « Les nouvelles chaussures offrent davantage de confort et sont plutôt optimisées pour la course », explique l’athlète Bächli et alpiniste professionnel Nicolas Hojac. « Avec des chaussures de montagne normales, on peut aussi courir, mais je ne sais pas si c’est sain à long terme. » Choix de Hojac pour l’ascension rapide du « Spaghetti Tour » : la Ribelle Tech 1.0 de Scarpa, qui a déjà un successeur, la Ribelle Tech 3 HD. Des modèles comme la série Aequilibrium de La Sportiva, la Taiss Pro High GTX de Mammut ou la Croda DFS GTX d’Aku font partie du même groupe de produits. Ils se distinguent tous considérablement des chaussures de montagne « classiques », déjà par leur aspect, mais surtout par leur poids et leur rigidité. 



Sortir des sentiers battus

Les chaussures de montagne traditionnelles – ou « normales », comme les appelle Hojac – peuvent être classées selon l’échelle de chaussures de Meindl, qui date des années 1970. Le critère principal est la rigidité de la semelle en torsion. Dans la catégorie A/B se trouvent les chaussures de loisirs et de randonnée légères : avec leur semelle flexible, leur tige basse et leur matériau extérieur souple, elles conviennent aux marches d’approche et aux randonnées faciles. Les chaussures de montagne semi-cramponnables et entièrement cramponnables pour les randonnées en haute montagne ainsi que les chaussures d’expédition appartiennent aux catégories C et D. « La structure des chaussures est très similaire dans la plupart des cas : une semelle en caoutchouc, avec des débords pour les crampons. À cela s’ajoute un élément amortisseur et une semelle intercalaire pour rigidifier la semelle », explique Ernst Schärer, gestionnaire de produits chaussures chez Bächli Sports de Montagne. La semelle rigide assure une résistance élevée, le profil adhérent une bonne accroche sur les terrains rocheux et la tige haute la stabilité nécessaire. Le bord de la semelle se compose de plastique dur sur l’avant et/ou l’arrière pour permettre le montage de crampons. Le matériau extérieur utilisé est souvent du cuir solide, généralement associé à une membrane imperméable. Selon l’usage prévu, des matériaux isolants sont ajoutés pour une utilisation à haute altitude ou dans le froid. En tout et pour tout, une telle chaussure d’alpinisme « classique » - comme la Nepal Extreme de La Sportiva ou la Mont Blanc Pro GTX de Scarpa – pèse entre 900 et 1000 grammes en taille 42. La nouvelle génération de chaussures de montagne légères ne se laisse en revanche guère situer sur l’échelle de Meindl. Elles combinent la flexibilité et la légèreté d’une chaussure A/B avec la semelle et les caractéristiques d’une chaussure C. La chaussure doit offrir une sensation de foulée agréablement douce avec une semelle relativement rigide pour les entreprises de haute montagne – et ce avec un poids minimal. « Ces dernières années, la tendance a été de développer des chaussures toujours plus légères. Les technologies et les matériaux ont évolué, rendant les sports de montagne dans leur ensemble de plus en plus légers et rapides », déclare Lorenza Kessler, gestionnaire de produits dans le domaine footwear chez Mammut. Les économies réalisées sont stupéfiantes : l’Aequilibrium Speed GTX de La Sportiva pèse à peine 530 grammes par chaussure (taille 42), la Taiss Pro de Mammut 630 grammes, et la Ribelle Tech 3 HD de Scarpa 660 grammes. Près d’un demi- kilo en moins au pied : c’est une révolution dans le sport de compétition, mais aussi un soulagement sensible pour les alpinistes amateurs. Comment cela est-il possible ? 

« D’une part, l’utilisation de semelles intercalaires en carbone permet de réduire le poids, d’autre part, on renonce de plus en plus souvent au cuir au profit de matériaux synthétiques légers et fonctionnels », révèle Kessler. Cette évolution est aussi confirmée par Francesco Favilli, Brand Manager chez Scarpa : « Les progrès vraiment importants ont été réalisés grâce au développement de nouveaux matériaux. Par exemple, on utilise désormais des guêtres en tricot, qui associent des fibres et des fils de différentes structures afin d’allier élasticité, résistance, légèreté et confort. » Parallèlement, de nouvelles innovations, comme la technologie Litebase de Vibram, permettent de concevoir des produits de plus en plus légers : la vulcanisation de tissus pré-caoutchoutés dans la semelle permet de la rendre beaucoup plus fine (et presque 30 pour cent plus légère) tout en conservant la même profondeur de profil. 


Mondes combinés

Ces modèles se distinguent des chaussures d’alpinisme « classiques » par leur poids, mais aussi par leur construction. Les systèmes Boa sont de plus en plus utilisés : « On connaît les systèmes Boa dans le domaine des chaussures de ski de randonnée. Petit à petit, cela se transpose à l’été », explique l’expert Bächli Ernst Schärer. Tourner au lieu de lacer : le système de fermeture à une main de l’entreprise américaine Boa trouve désormais un écho favorable du trail running à l’alpinisme. Ces deux mondes se sont de toute façon de plus en plus mélangés, estime le gestionnaire de produits chaussures de La Sportiva, Francesco Delladio : « Cela permet d’adopter certaines caractéristiques, telles que la légèreté, l’amortissement, le confort de marche et la respirabilité, qui n’étaient jusqu’à présent typiques que des chaussures de trail running, dans le domaine des chaussures de montagne également. » Les fabricants se concentrent sur la démarche et le déroulé du pied. Ainsi, la pièce maîtresse de la série La Sportiva Aequilibrium est la technologie Double Heel, une zone du talon divisée en deux parties : « La géométrie prononcée avec une construction double du talon facilite le déroulé du pied et ménage ainsi les muscles du tibia. En outre, cette construction améliore les propriétés de freinage lors de la course en descente », précise Delladio. Le drop, c’est-à-dire la différence de hauteur entre le talon et la pointe, qui est important dans la course à pied, devient également de plus en plus pertinent dans la fabrication de chaussures de montagne ultralégères. Les chaussures de course fortement amortissantes présentent un drop de 8 à 12 millimètres, contre 6 pour la nouvelle Scarpa Ribelle Tech 3 : « Cela représente un changement radical dans l’approche de l’alpinisme, où la différence était toujours de 10 à 12 millimètres, voire plus », souligne Favilli. Comme pour la course à pied, l’objectif est d’optimiser la marche et la foulée en réduisant le drop, c’est-à-dire en se tenant plus à plat, et de permettre des mouvements plus efficaces tout en réduisant les inflammations ou la fatigue. 



 Une légèreté sans limites ?

Grâce à leur faible poids, les chaussures de montagne ultralégères disposent d’un vaste domaine d’utilisation – mais pas illimité. Plus les chaussures sont légères et minimalistes, plus il est important d’évaluer correctement ses capacités. « L’Eiger Speed Boa High GTX de Mammut n’est définitivement pas une chaussure de montagne standard et ne fait pas partie des modèles polyvalents – il s’agit d’un modèle hybride spécial qui, en tant que produit de niche, est presque exclusivement destinée aux athlètes professionnels », précise Kessler au sujet du prochain modèle haut de gamme de Mammut, qui ne pèse que 480 grammes, ressemble davantage à une chaussure de trail running qu’à une chaussure de montagne et a été développée en collaboration avec Nicolas Hojac. Il faut s’attendre à devoir faire des concessions en matière de stabilité de la cheville. « Si une chaussure ne soutient plus bien, les traversées en crampons sur des flancs de névé raides et durs peuvent être très désagréables ou on peut rapidement se déchirer les ligaments en dévalant les pentes. L’expérience montre que cela peut arriver même aux meilleurs coureurs », prévient Hojac. « En fin de compte, les possibilités dépendent des capacités de l’alpiniste : dans de bonnes conditions, je peux même aller jusqu’au Mont-Blanc avec des chaussures de trail running. Mais je dois savoir exactement à quoi m’attendre – sans quoi la situation peut vite devenir fatale. »

Selon Schärer, le domaine d’utilisation de la nouvelle génération de chaussures est vaste, pour autant que l’on ait suffisamment d’expérience. « Si l’on dispose des capacités nécessaires, on peut utiliser ces chaussures de manière très universelle : pour des ascensions rapides et difficiles, mais aussi pour des randonnées dans le domaine du T5 ou du T6 ». Il faut dans tous les cas tenir compte du fait qu’avec de tels modèles, les fabricants s’adressent en premier lieu aux alpinistes avancés et expérimentés qui recherchent une chaussure pour l’alpinisme rapide. Inspirés par les professionnels, des modèles encore plus sophistiqués arriveront sur le marché cette saison et la prochaine : avec l’Eiger Speed Boa High GTX de Mammut, précédemment mentionnée, le seuil des possibilités n’a pas encore été atteint. En coopération avec Andreas Steindl, Dynafit commercialisera à l’été 2024 l’Elevation WP de 380 grammes, la chaussure de montagne compatible avec des crampons la plus légère du marché selon le fabricant. 

Les chaussures de montagne « classiques », qui pèsent quelques grammes de plus, conservent toute leur légitimité. C’est-à-dire chaque fois que la stabilité, la protection, l’isolation et un soutien suffisant sont plus importants qu’un faible poids. « Il s’agit donc, dans le segment des chaussures de montagne, de deux styles qui coexistent et qui élargissent les possibilités », assure Favilli. Il reste difficile de trouver le bon compromis entre rigidité, stabilité, isolation et déroulé, estime également Hojac. Et quiconque pense que seuls les modèles ultralégers permettent d’avancer vite devrait se souvenir des icônes de l’alpinisme de la dernière génération : « Nous faisons toujours comme si l’alpinisme de vitesse était une nouvelle discipline, mais ce n’est pas vrai : l’Eiger, le Mönch et la Jungfrau ont déjà été gravis en 1935 par les deux alpinistes Hans Schlunegger et Adolf Rubi, de la Mittellegihütte à Stechelberg en 16 heures », explique l’athlète Bächli. « Et nous avions à l’époque tout sauf des chaussures de montagne modernes. »   

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