Les gorges du Verdon, en France, fourmillent de voies d’escalade exigeantes. L’une d’elles porte le nom de Dame Cookie : 200 mètres de haut, 6 longueurs, et des difficultés allant jusqu’à 8a+. La grimpeuse suisse Katherine Choong a récemment réussi à l’enchaîner – même si tout ne s’est pas déroulé comme initialement prévu !
Avec pour seule compagnie notre stéréo s’égosillant sur un fond de musique française, nous sillonnons une route de campagne interminable en nous demandant si nous n’allons pas atteindre le bout du monde avant notre destination. La route qui serpente la montagne nous mène finalement à l’entrée de ces gorges si impressionnantes, terrain de jeu infini pour les grimpeurs, composées de grandioses murs de calcaire gris orangé, vertigineux, qui se dressent de part et d’autre des eaux turquoise de la rivière du Verdon. Le ciel se pare d’une douce teinte dorée, les derniers rayons de soleil s’échouent contre les barres de rocher. Doudounes trouées et réparées par un bout de strap, bonnet vissé sur la tête et démarche courbée de primate, pas de doute, nous sommes bien arrivés au village mythique de La Palud sur Verdon, où se retrouvent les grimpeurs pour partager leur journée passée en paroi. Le sourire des gens, les rires et les notes de guitare qui parviennent jusqu’à nos oreilles nous rappellent à quel point les choses simples de la vie sont si essentielles et nous avaient manqué.
L’un de mes objectifs de l’année est de passer plus de temps en longue voie et, parce que j’aime bien titiller mes limites et me prendre des claques, essayer de réaliser quelques voies d’un niveau qui me poussent à me dépasser.
Les gorges du verdon : un paradis pour les voies de plusieurs longueurs
Des parois verticales, lisses, hachées de réglettes et de trous exigent un travail de pieds précis sur de toute petites prises, la gestuelle très esthétique des voies est incroyable ! Bien que je grimpe quasiment toute l’année, cela faisait plus de 6 mois que je n’avais pas fait de longue voie. L’escalade a cette particularité de rappeler que rien n’est jamais acquis, que même si tu es capable d’être fort dans un certain style, tu peux être mis à l’épreuve dans ce qui est normalement ton niveau d’échauffement dès que tu te retrouves dans un environnement inhabituel.
On n’y a bien sûr pas échappé les premiers jours. Nous nous sommes donc remis en selle dans quelques jolies voies abordables, notamment « Alix, Punk de Vergons », feignant d’être à l’aise avec les jambes dansant au-dessus de 300 mètres de vide dans l’impressionnante Paroi du Duc. À noter que c’est dans cette même paroi raide de couleur sombre et à l’allure austère qu’un grimpeur courageux et motivé a ouvert la toute première voie des gorges, en 1968. Ça impose le respect !
Tout ne se déroule pas comme prévu
Le plan initial était d’enchaîner toutes les longueurs, à la journée, de la voie « La Ramirole » 8b max., 160 mètres. Malheureusement, cette voie se trouvant dans un dévers composé de colonnettes, les fortes pluies du printemps ont détrempé toute la falaise, rendant l’ascension impossible. Si c’est parfois frustrant de ne pas pouvoir tenter sa chance d’atteindre son objectif, je garde à l’esprit que l’escalade est avant tout un sport outdoor : tu peux être aussi fort que possible, avoir mis en place un plan d’attaque aux petits oignons et penser que la situation est sous contrôle, c’est la nature qui décide si elle te laisse saisir ta chance. Mais c’est finalement l’occasion de se tourner vers d’autres opportunités. Et ce n’est pas ça qui manque au Verdon ! Sous les conseils de Cédric Lachat, nous avons donc décidé de tenter notre chance dans la voie « Dame Cookie », déversante, qui ne craint ainsi pas d’être mouillée. Elle se compose de 6 longueurs (7c, 6c, 8a, 7c+, 8a+, 5c, 200 mètres) d’un style très différent. Une belle cuisine éprouvante.
Ne sachant pas exactement à quoi m’attendre, mon objectif était de tenter une ascension à la journée, ce qui signifie enchaîner chaque longueur en tête dans la même journée. En cas de chute, il est possible de redescendre au début de la longueur où on est tombé afin de retenter sa chance. Dans ce genre de défi, même si ce n’est pas mon niveau maximum, une certaine pression se fait ressentir, car pour réussir chaque longueur dans la même journée, mieux vaut les enchaîner du premier coup pour ne pas devoir redescendre au relais, tenter à nouveau sa chance et perdre beaucoup d’énergie pour la suite.
Je me lance donc dans la première longueur, qui est tout de même 7c dans un rocher blanc un peu poussiéreux, sans trop d’échauffement. C’est la chute. Ça commence bien ! J’examine le crux (la section la plus difficile de la voie), avant de redescendre jusqu’en bas pour retenter ma chance. Ouf, ça passe cette fois ! La 6c qui suit dans une grande fissure ne pose pas trop de problème et s’ensuit une longueur en 8a dans un mur criblé de trous qui permettent de varier les méthodes en plaçant bidoigts ou tridoigts selon la grandeur des saucissons au bout des mains de chacun et de tordre des lolottes dans tous les sens. Un peu perdue au milieu de ce gruyère, je tombe à nouveau. Je sais que je grille à chaque fois beaucoup d’énergie, mais décide de redescendre au pied de la longueur et, finalement, ça passe dans un grand combat d’endurance.
Dans la longueur suivante, on passe dans le thème des réglettes pour mon plus grand bonheur dans un mur jaune. Un mouvement long et aléatoire à l’avant dernière dégaine me coûtera l’enchaînement à vue et même un second essai ! À ce moment-là, je sais que j’ai grillé toutes mes cartouches. Mais encouragée par Jim et Julia, la photographe qui nous a suivis pour immortaliser la journée, je repars les bras cramés, mais parviens à clipper le relais sans tomber ! À présent, l’avant dernière longueur, la plus dure (8a+), m’attend encore et je suis bien consciente que ce sera extrêmement difficile à grimper. À bout de force, j’essaie les mouvements, brosse quelques prises, mais je me rends bien compte que je n’aurai pas les ressources pour enchaîner cette longueur très physique ce jour-là. Un peu déçue par mon manque de lucidité dans les moments cruciaux et mes nombreuses erreurs qui m’ont coûté l’enchaînement à la journée, je suis quand même très heureuse d’avoir tout essayé et d’y avoir cru jusqu’au bout.
Les bras rôtis et toastés, nous décidons de prendre un jour de repos et de tenter l’enchaînement le jour suivant. À nouveau, je suis à deux doigts de tomber dans la première longueur, mais parviens à l’enchaîner. Cette fois, le mode machine est enclenché ! Je sais que je ne peux pas me permettre de tomber, que je dois garder beaucoup de réserve pour la longueur en 8a+, que je ne suis vraiment pas sûre de pouvoir réussir. Les longueurs suivantes s’enchaînent sans aucune chute, mais me fatiguent tout de même plus que je ne l’aurais pensé physiquement et mentalement. J’arrive alors au pied de la 8a+, persuadée que je dois atteindre le sommet au premier essai, sans quoi je n’aurai plus assez d’énergie. Le silence règne. Seuls les vautours fendent l’air à côté de nous.
Une aventure riche en enseignements
Et finalement, je me lance. Chaque mouvement me paraît difficile. Comme si un scénariste hollywoodien s’était emparé du contrôle de ma journée, le suspense est complet jusqu’au bout : une prise se brise sous mes doigts dans le premier crux, manquant de me faire tomber et m’obligeant à trouver une autre méthode de secours. Un peu plus haut dans une autre section difficile, de nouvelles prises mouillées font leur apparition histoire de pimenter un peu le jeu et de tester mes nerfs. Me battant dans chaque mouvement, je parviens finalement au rétablissement final que je redoutais encore. Comme si la situation n’était déjà pas assez désespérée, des gouttes de pluie commencent à tomber. Je crains l’averse qui peut arriver en quelques instants et qui n’arrangerait pas mes affaires dans la dalle finale. Heureusement, je parviens au relais et le soleil refait son apparition comme pour fêter avec moi ce doux moment de soulagement et de pur bonheur ! Jim, qui est également parvenu à enchaîner presque toutes les longueurs, me rejoint pour partager ce bon moment.
Cette voie – au-delà de sa difficulté – fut un magnifique voyage, un apprentissage m’apportant son lot d’émotions, de l’appréhension de l’inconnu à l’épanouissement de l’objectif atteint. Plus qu’une course aux résultats ou qu’une recherche constante de performance, je me suis régalée de chaque mouvement, chaque instant. Trouver en soi des ressources, des solutions, quand plus rien ne semble être possible représente la victoire que je savoure avant tout. Un sentiment de liberté. Un sentiment d’incarner ce que je suis.
Je suis incroyablement reconnaissante d’avoir pu partager cette aventure avec mon compagnon de cordée et de vie, Jim, qui m’a énormément soutenue dans l’ascension de cette voie, ainsi qu’avec mon amie Julia Cassou, dont l’énergie positive est également primordiale et qui prend des images sublimes. Je remercie chaleureusement mes partenaires, en particulier un grand merci à Bächli, plus qu’une entreprise, une équipe incroyable de personnes qui m’accordent leur confiance et me soutiennent dans mes projets !
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