Le TOR des géants fait partie des ultra trails les plus difficiles au monde. Sa distance de 330 km et ses 24 000m de dénivelé positif font de cette course unique un challenge hors norme, poussant l’organisme humain à ses limites ultimes.
Le départ se fait à Courmayeur, et la boucle fait tout le tour du Val d’Aoste en empruntant la via alpina n°2 au sud, et en revenant par le nord par la via alpina n°1.
Malgré sa distance, cette course est très prisée par les athlètes d’endurance extrême, et il est préférable lors de votre inscription d’avoir déjà réalisé des courses d’endurance de montagne. Avoir effectué quelques ultras de 170 km est un plus. Aujourd’hui les inscriptions se font en grande partie par tirage au sort. Ce n’est qu’à la troisième tentative que je réussi à avoir le sésame promis.
Dimanche 14 septembre, je me présente anxieux en me posant la question s’il est raisonnable de se lancer dans une telle folie avec une micro-déchirure du ligament interne du genou gauche et un blocage partiel du genou droit. C’est dans le grand gymnase de Courmayeur que je récupère mon dossard et que je dépose mon sac suiveur. La météo est mauvaise, les organisateurs nous imposent d’emporter des crampons. Au-dessus de 2000 m il neige…
La ligne de départ est un instant magique : entre euphorie et émotion, les pensées sont ailleurs, chacun faut sa bulle et pense aux difficultés qui l’attendent.
À 12h00, le départ est donné, tout le stress disparaît instantanément. Je n’éprouve plus aucune appréhension pour la suite et je ne pense plus qu’à moi-même et à faire de mon mieux.
La première montée au col d’Arp à 2571m se fait sous la pluie, puis sous la neige. Le col est franchi avec une dizaine de centimètres de neige et en pleine tempête de neige. On s’empresse à redescendre du mieux que l’on peut par des glissades parfois pas toujours contrôlées.
Kilomètre 27, j’arrive au refuge Deffeyes à 2500 m d’altitude. Il fait tellement froid que j’enfile ma veste Goretex et mes gants. Le ravitaillement se fait très rapidement, certains coureurs ont les onglées aux mains. Je continue ma progression sous un ciel moins menaçant vers un col à plus de 2800 m.
Kilomètre 50, j’arrive à Valgrisenche (1ère base vie) en début de nuit. Je ne m’y attarde pas longtemps, mange un rapide plat de pâtes, une soupe, et un plat de pommes de terre. Je remplis mes flasques à moitié gelées et repart dans la nuit.
Un peu plus tard en montant au col Fenêtre, je m’aperçois que mon genou droit s’est débloqué. Je prends ce signe comme un très bon présage pour la suite. J’ironise en me disant que le TOR m’a soigné un genou.
À l’aube, j’arrive à Eaux Rousses et je décide de m’arrêter une demi-heure, de bien manger et de boire chaud avant d’attaquer le col Loson et ses 3302 m. Le dernier kilomètre est raide, il faut parfois utiliser ses mains pour garder l’équilibre, il y a de la neige, sa glisse. Habitué à ces terrains techniques, je rattrape de très nombreux coureurs.
Kilomètre 106. En milieu d’après-midi, j’arrive à Cogne. Il fait chaud, j’en profite pour regarder mes pieds et change de chaussettes. Je me régale au ravitaillement en mangeant de tout et me repose 30 minutes couché sur un banc.
Et puis, s’est à nouveau une longue montée vers le refuge Sogno à 2534 m. J’y arrive à moitié gelé. Il fait froid, il y a de la glace par endroit sur le chemin et aussi un satané vent. Pour réchauffer mes mains, la gardienne du refuge me glisse une bouteille d’eau chaude dans les mains.
Kilomètre 151. J’arrive à Donas vers les 4h30 du matin. Je décide de m’arrêter pour prendre ma 1ère douche, changer de chaussures, et dormir une 1ère fois 1h30 avant d’entamer l’étape la plus difficile du TOR jusqu’à Gressoney.
En arrivant au refuge Coda, il commence à pleuvoir et une dizaine de kilomètres plus loin, au Rifugio Barma je m’arrête avec un italien une quarantaine de minutes pour se réchauffer et sécher un peu ses affaires.S’en suit une série de montées et de descente dans la boue et dans des pierriers, où nous nous étalons à tour de rôle avec plus ou moins de grâce.
L’arrivée à Niel dans la nuit est difficile, je suis seul, les successions de montées et de descentes dans des terrains techniques et glissants ont éclaté le petit groupe que nous étions. Je ne me sens pas d’attaque de monter directement les 850 m de dénivelé qui m’attendent et décide de dormir 40 minutes sous une tente de l’organisation. J’indique l’heure à laquelle on doit me réveiller et me couche… Je ferme les yeux et dors instantanément. Ces quelques minutes de sommeil m’ont fait le plus grand bien. Cela me permet de rattraper des coureurs en difficulté. Certains zigzaguent et me demandent où ils sont ! La fatigue nous fait entrer dans un autre monde et ici une mauvaise stratégie se paye cache. Écouter son corps est primordial.
Kilomètre 206. C’est en fin de nuit que j’arrive enfin à Gressoney. Rituel habituel, manger, boire, douche, dormir une nouvelle fois 1h30. Nous avons tous les visages marqués. Les démarches de certains laissent imaginer des douleurs dans tout le corps, d’autres ont des pieds en sang en raison des cloques. D’autres encore se font masser et mettre des strappings un peu partout où le corps commence à grincer. Et puis pour certains, leur corps a dit stop et la course se termine ici.
Je repars de Gressoney reposé, je n’ai aucune courbature, et cela me réconforte pour la suite. Prochaine étape Valtourmenche en franchissant à nouveau une succession de cols.
C’est en milieu d’après-midi que j’arrive à Valtournenche. Je ne suis pas plus fatigué que ça, et procède à mon rituel habituel. Vers 20h30, je repars avec un italien qui a déjà fait le TOR. Nous avançons à peu près au même rythme. C’est toujours plus sympathique d’avancer à deux dans la nuit. «Deux lampes éclairent plus qu’une et avec la fatigue que nous cumulons, il y a moins de risques de se perdre ». La montée à la fenêtre du Tsan sous la pleine lune est fantastique. Sa descente est par contre incroyablement raide. Heureusement que j’ai des bâtons. Vers 1h00 du matin, nous arrivons au rifugio Lo Magià… J’ai pas mal zigzagué dans les dernières centaines de mètres. Je dormais en partie.Le sentier était roulant, donc j’ai inconsciemment fermé les yeux en marchant et les rouvrais quelques pas plus loin.
L’italien est épuisé et décide de dormir jusqu’à l’aube. Je décide de dormir 1h00 et repars seul dans la nuit. Cette heure de sommeil m’a donnée une incroyable énergie. Mon altimètre m’indique une vitesse ascensionnelle de 1000 m à l’heure.
En milieu de journée j’attaque la montée du col Bruson sous une chaleur accablante. Avec la fatigue accumulée c’est un véritable calvaire. Je rattrape malgré tout quelques coureurs… certains titubent, d’autres sont littéralement couchés sur le sentier. Je gère mon effort afin de ne pas les imiter.
Kilomètre 287, j’arrive à Ollomont, dernière base vie avant Courmayeur dans un état vaseux. Mes pieds me brûlent, il fait chaud. Malgré tout, on commence à sentir l’arrivée approcher…
Je pensais dormir un peu, mais il y a trop de bruit. Je me repose un peu, me fais soigner une ampoule au talon et décide de repartir en espérant faire toute la montée du col Champillon de jour.
Au refuge Champillon, c’est l’heure du dîner et lorsque je rentre dans le réfectoire, tout le monde se lève de table et m’applaudit. Je suis ému.
En descendant du col je dois m’arrêter pour enlever les sparadraps qui devaient protéger mon ampoule. Un cri dans la nuit se fait entendre lorsque j’arrache celui-ci.
Avant d’arriver à Saint Rhémy, nous avons une bonne douzaine de kilomètre à parcourir sur un chemin assez roulant. Avançant seul à ce moment-là dans la nuit, je commence à zigzaguer méchamment. Je dors en marchant la moitié du temps et lorsque je me réveille, c’est parce que j’ai trébuché avec mon pied gauche. Du coup je commence à parler à mes pieds et des fois quelques noms d’oiseaux se font entendre dans la nuit. Je n’ai plus toute ma tête et il faut que je dorme.
À Saint Rhémy, je demande à l’organisation s’il y a moyen de dormir un peu. Mais bien sûr, vous avez juste à suivre le monsieur là-bas. Oui mais il va à l’église. Oui c’est pour vous. Effectivement le presbytère situé juste à côté de l’église sert de dortoir. C’est l’Abbé en personne qui s’occupe de gérer les temps de sommeil des coureurs. Je suis tellement fatigué que je ferme les yeux et dors instantanément en ne prenant même plus le temps d’enlever mes chaussures.
Après 1h30 de sommeil, je repars avec un espagnol. Il marche bizarrement avec des sparadraps collés sur les jambes et porte des atèles aux genou. De temps en temps, je l’entends grogner de douleur lorsqu’il fait un pas de travers…
Au refuge Frassati à 2537 m, je m’arrête qu’un court instant.
Il me reste encore 400m de dénivelé avant d’arriver au col de Malatra, dernière difficulté avant la longue descente vers Courmayeur.
Au col de Malatra, c’est l’apothéose, l’aube pointe doucement, le Mont Blanc est rose/bleuté puis devient orange. C’est le bouquet final que le Tor me donne.
J’arrive à Courmayeur vendredi matin vers 10h00, avec 118 heures de course dans les jambes. Le chrono n’est pas formidable, mais vu l’état de mes genoux au départ, je suis très satisfait de ma prestation. Au classement général, je termine à la 121e place sur 989 coureurs au départ.
L’un de mes rêves s’est réalisé. Le TOR m’a fait vivre des moments intenses de joie, de douleur et d’émotions. Je pensais arrêter les courses d’ultra trail après cette course, mais essayer d’aller au bout de soi-même, pousser la machine jusqu’à ses retranchement ultimes m’amène à penser différemment et à aller encore plus loin. Après tout, relever des défis c’est aussi mon travail au quotidien !
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