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Mondes de cristeaux

Jürg Buschor, mercredi, 02. février 2022

Le parc naturel régional de Binn est un site d’importance mondiale pour les minéralogistes et les cristalliers. Mais cette vallée latérale valaisanne est également très attrayante pour les adeptes de ski de randonnée. Cristaux de neige, étoiles gastronomiques et soleil du sud les y attendent.

C’est comme si un cyclope avait construit un immense bonhomme de neige avant de l’aplatir de toute sa puissance. Mais à la place de branches, il aurait utilisé des troncs d’arbres pour les bras. Et des blocs rocheux pour les yeux. » Lorsqu’il passe devant un puissant couloir d’avalanche à Holzerhiischere, Dani ralentit l’allure de son camping-car. Un grand nombre d’arbres émergent, cassés comme du petit bois par la force brutale des masses de neige. Les vastes pentes sud en-dessous de l’Eggerhorn et du Chlis Fülhorn ont été balayées à la fin mars. Une fois la glissade commencée, plus rien n’a pu l’arrêter. Lochgrabe et Tielöüwigrabe se sont mués en immenses entonnoirs dans lesquels les masses de neige ont été comprimées avec une force inimaginable, jusqu’à ce qu’elles soient enfin stoppées par le versant opposé. Non toutefois sans détruire tous les arbres par leur onde de choc, lesquels n’ont pas eu assez de force pour résister à cette violence primitive. Cela fait déjà un certain temps que la route a été nettoyée avec des chasse-neige et des tronçonneuses. Il n’est resté qu’un impressionnant mélange d’arbres et de neige de trois mètres de haut.


Magie pour la bucket list

« Là, le DVA n’aurait eu aucune chance » confirme Leni lorsqu’elle réalise le contrôle de fonctionnement des DVA dans le hameau de Fäld. En cette journée de fin mars, on a affaire à un danger d’avalanche de niveau 2. Le thème du danger d’avalanche n’est donc plus aussi préoccupant qu’il ne l’était encore récemment. La montée suit, à un rythme soutenu, la route enneigée en direction de Figgerscha. On ne peut que deviner les trésors qui se cachent sous l’épaisse couverture de neige. Même la baraque humble de la carrière de minéraux de Lengenbach, devant laquelle passe l’itinéraire de montée, ne permet pas de penser que cet endroit est l’un des dix sites minéralogiques les plus importants du monde. Jusqu’à présent, on a pu répertorier 165 sortes de minéraux rien que dans la petite mine – pour certains d’entre eux, la carrière de Lengenbach est le seul site confirmé au monde à ce jour.


Leni et Dani s’intéressent plutôt aux cristaux de neige, fort heureusement pas aussi rares, mais bien plus éphémères. Et ils soupçonnent ceux-ci de se trouver aujourd’hui sous leur forme la plus sèche sur les pentes nord du Schwarzhorn. Mais le sommet et la descente qui lui succède se méritent. Pour l’instant, rien ne laisse présager le beau temps annoncé pour la journée. Une épaisse couche de brouillard enveloppe le Binntal tandis que le duo prend de l’altitude en enchaînant des virages réguliers entre les taillis d’aulnes, au-dessus de la carrière à minéraux. Dans la région d’Alte Mässerchäller, la progression est nettement plus facile, car les mélèzes anciens masquent tellement la lumière avec leur robe estivale qu’il y a très peu de sous-bois dans la forêt. « Fantastique », murmure Dani tandis qu’il fait sa trace de montée dans la neige ancienne. Son enthousiasme s’explique par les innombrables blocs rocheux qui jonchent la forêt et dont la taille va d’une petite voiture à un camion de 40 tonnes. Tous sont recouverts d’un mètre de neige. « Ils pourraient former un alignement parfait d’oreillers », précise-t-il à Leni. Mais aujourd’hui, ces coussins de neige sont tout sauf moelleux. Dans son registre mental des choses à faire avant de mourir, il ajoute « forêt enchantée » à sa liste de projets de rando inachevés. En effet, Dani veut d’abord descendre les « couloirs de folie » aperçus la veille au soir depuis la chambre d’hôtel. Sur son topo virtuel trône une épingle de localisation là où deux couloirs parallèles et de raideur identique descendent du sommet du Breithorn jusqu’au lit de la Binna sur plus de 1000 mètres.


Les habitants considèrent Manibode comme un haut lieu vibratoire. Nul besoin de s’intéresser à l’ésotérisme pour le comprendre. Juste au moment où le duo atteint la plaine située à 2000 mètres, les nuages de brouillard s’évaporent. Mais non sans avoir d’abord mené une bataille dramatique contre les rayons du soleil, de plus en plus puissants. Le soleil prend finalement le dessus et illumine d’une chaude lumière le Grampielhorn, le Rothorn, le Schwarzhorn et le Stockhorn. La couche isolante disparaît dans le sac à dos, tandis que la veste hardshell devient plus utile que jamais. Un puissant vent d’ouest souffle du Furggulti, menaçant de refroidir en peu de temps le thorax des deux randonneurs.

Au lieu de suivre l’itinéraire de montée standard, Leni et Dani optent pour la route directe. Ainsi, ils pourront vérifier où se trouve la meilleure neige en prévision de la descente. Ils contournent les ressauts raides sur le glacier par l’ouest. Cette solution leur semble plus sûre, mais aussi plus agréable. Plus ils montent haut, plus le vent se renforce. Ils ne perdent donc pas de temps, installent le dépôt de skis à 3050 mètres et grimpent les derniers 67 mètres de dénivelé restants jusqu’au sommet du Schwarzhorn. Les Italiens nomment ce sommet limitrophe Punta Marani, que l’on peut également gravir depuis le Rifugio Castiglioni et l’Alpe Devero. Comme ils l’avaient supposé et espéré, les deux skieurs trouvent encore de la neige vierge dans la consistance souhaitée – soit en de légers cristaux – même plusieurs jours après les dernières chutes de neige.


Neige légère, vin lourd

Dans le Binntal, les cristaux sont aussi légers que le vin est riche. À la fin de leur première journée de course, exceptionnelle, Leni fait tournoyer le vin dans son verre, ferme les yeux et inspire profondément. L’Heida de la cave St. Jodern a un nez séduisant et brille dans des nuances jaune foncé. Ce vin est une particularité à deux égards : Visperterminen n’est pas seulement le plus haut domaine viticole d’Europe, mais les raisins du cépage Savagnin Blanc y sont cultivés sur des vignes vieilles de plus de cent ans. En guise d’apéro, ce vin est prometteur de ce qui va suivre dans l’assiette et le verre à vin rouge. Le restaurant et la pension Albrun sont dirigés par Mario Inderschmitten et son épouse Laetitia. Lui, originaire du Binntal, a retrouvé sa vallée natale après des années de formation et de voyages. Elle, Alsacienne et spécialiste en hôtellerie, veille au bien-être de ses hôtes avec beaucoup de charme et d’expérience. Ils sont si bons dans ce qu’ils font que les critiques gastronomiques de Gault & Millau ont attribué 15 toques au restaurant Albrun. Autant le repas du soir est raffiné, autant les chambres sont simples – en tant que sportif de montagne, on se sent ici tout à fait à sa place.


Le vin n’était visiblement pas si lourd. Aux petites heures du matin, Dani et Leni sont les deux seules âmes visibles au Mässersee, qui quant à lui se laisse à peine deviner sous l’épaisse couche de neige. Le calme qui règne est si absolu qu’on a peine à croire qu’en été, les randonneurs viennent pique-niquer par dizaines sur les rives du lac. « Regarde, nos traces de descente d’hier sont encore partiellement visibles », dit Leni en pointant le Schwarzhorn avec son bâton. Ils montent par les pentes moyennement raides de Hotäl et atteignent, à 2700 mètres, un petit plateau depuis lequel le Grosses Schinhorn semble à portée de main. Contrairement à la veille, il n’y a presque pas un souffle et le ciel est sans nuages. En voyant l’imposante corniche au Mittelbergpass, on devine qu’il n’en est pas toujours ainsi. De là, il reste à peine plus de cent mètres de dénivelé jusqu’au sommet, les derniers mètres jusqu’à la croix sommitale devant être parcourus à pied. « La Binntalhütte doit se trouver quelque part là derrière », suppose Dani tandis qu’il laisse errer son regard vers l’est. « Et juste derrière l’Albrunhorn, le col éponyme. » Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer qu’au XIIIe siècle, les Walser ont traversé ce col vers l’Italie et ont continué le long de la crête principale des Alpes vers l’est, en quête d’une nouvelle terre d’accueil et d’une vie meilleure. Ce qu’ils ont laissé derrière eux est aujourd’hui un petit paradis (de ski de randonnée).


Binntal en chiffres

  • 15 toques gault & millau pour le restaurant Albrun.
  • 9 sommets de trois mille mètres accessibles à ski.
  • 350 minéraux différents trouvés entre le Binntal et l’alpe Devero.

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