17 juillet 2016 – 2h30. J’ai à peine eu le temps de m’endormir que le réveil sonne déjà doucement à côté de mes oreilles. Au moins, j’ai pensé à baisser un peu le volume, histoire de pouvoir le laisser sonner un moment.
J’ai déjà préparé mon sac à dos hier soir et déposé des vêtements propres dessus. J’ai également rempli une gourde de Winforce Carbo Basic Plus. Je commence par en prendre une gorgée. Vient ensuite le tour du petit déjeuner : café, pain, müesli. J’ai réussi à perdre l’habitude du monotone « petit pain au miel ». Les fibres alimentaires me permettront de courir plus longtemps et de ne pas sprinter dès le départ.
Vêtu d’un short et d’un t-shirt à manches courtes, je remarque à quel point il fait froid dehors. Malheureusement, Grindelwald se retrouve très tôt dans l’ombre et les températures descendent en-dessous de dix degrés la nuit, même en juillet. Je sors donc un pantalon et modifie légèrement mes plans. À la base, je voulais déjà être prêt une heure avant le départ. Maintenant j’ai plutôt envie de passer ce temps tranquillement ici à l’auberge.
3h30. Vérifier encore une fois le numéro de départ, enfiler un pull et se motiver à sortir. Il reste une demi-heure avant le signal de départ. Sur le chemin qui mène au village, je suis gelé et très nerveux. Suis-je prêt ? Me suis-je suffisamment préparé et mon plan va-t-il réussir ? Je vérifie une fois encore la tenue du sac à dos.
16 juillet 2016. Je mets la musique à fond et roule décontracté vers Grindelwald en me réjouissant de ce qui m’attend.
Je viens de terminer le travail et j’ai pu m’entretenir avec quelques clients sur l’événement à venir. Je suis content que tout se soit bien passé aujourd’hui et que les affaires aient bien fonctionné grâce à un échange d’expériences. Comme j’ai réussi à partir plus tôt, je peux m’enregistrer tranquillement.
Encore une petite promenade dans le village baigné de lumière. Nous avons de la chance avec le temps. Bien qu’il reste un peu de neige sur le parcours, Mère Nature s’est montrée clémente avec nous cette année. C’est la première fois que je participe à l’Eiger Ultra Trail et je tente de mémoriser précisément la zone d’arrivée. Les premières émotions me submergent déjà et je me réjouis de revoir, dans 26 heures, la rampe qui me mènera à destination sur les derniers cent mètres.
17 juillet 2016 – 4h00. Signal de départ.
La course commence dans la pénombre. J’ai prévu de diviser le parcours en étapes de 20 km et de les évaluer à chaque fois. « Les premiers 20, les deuxièmes 20, etc. » En trail running, 20 km représentent une bonne distance, et je n’aurai ainsi que cinq étapes à parcourir. J’ai pensé que ce serait une meilleure motivation que de diviser la course en étapes de 10 km.
L’itinéraire monte légèrement en continu. D’abord une large route goudronnée sur laquelle on se bouscule un peu, comme d’habitude. Cela ne dure toutefois pas longtemps avant que les premiers participants s’essoufflent et que le rythme général baisse légèrement. Au plus tard une fois devant le premier singletrail, chacun a trouvé son propre rythme et le sentiment de tension, d’aventure et de découverte se renforce à nouveau.
Une fois arrivé à la Grosse Scheidegg, j’ai surmonté la première longue ascension. Il reste encore 5800 mètres de montée, qui pourront principalement être parcourus en plein jour.
Un petit poste de ravitaillement se trouve effectivement là-haut. On fait le plein de barres énergétiques et on s’offre une petite pause pour jeter un regard vers Grindelwald sur la foule de coureurs et pour profiter du soleil qui se lève.
Dans la première descente avant la station de ravitaillement au First, la véritable difficulté du parcours E101 commence. Les descentes sont mortellement raides et en grande partie goudronnées. Dans ma tête, une seule question tourne en boucle : « Comment ont-ils bien pu passer avec les rouleaux compresseurs dans cette pente ? »
Mais une fois arrivé au First, j’ai déjà tout oublié. Je suis un peu en avance sur mon planning et la station de ravitaillement propose des barres énergétiques et des boissons en suffisance. Je range mes manchettes, sors mes bâtons et me réjouis des prochains kilomètres sur le Faulhorn. Le chemin serpente à travers d’imposants paysages et les coureurs du E51 passent à toute vitesse devant nous. Sur cette deuxième étape de 20 km, la neige vient s’ajouter et, plus je me rapproche du Faulhorn, plus j’avance lentement. Sur les derniers kilomètres, j’ai même l’impression que le sommet s’éloigne de moi à chaque pas. Il s’écoule donc bien plus de temps que je ne n’avais prévu. Le ravitaillement au sommet est très court. Après une gorgée de coca, je me remets le plus rapidement possible en route vers la Schynige Platte. Sur le singletrail qui s’étend sur environ 10 km et devrait être extrêmement agréable et fluide puisqu’il n’est pas raide – une fois n’est pas coutume – nous nous enfonçons dans la neige jusqu’aux genoux et avançons très difficilement. Sur les escaliers glissants, la prudence et la concentration sont de mise. Ce qui aurait normalement dû me prendre une heure dure finalement deux heures et demie. Je suis heureux lorsque je peux faire une courte halte et enfiler des chaussettes sèches au point de rencontre Schynige Platte.
Lorsque j’arrive à Burglauenen, mes genoux sont douloureux après ces longues descentes raides et je suis content de pouvoir profiter d’une longue pause pour manger des pâtes et changer de chaussettes.
30 minutes de relaxation. C’est mon plan. Puis je repars motivé, m’échauffe de nouveau et prends un peu de vitesse sur les trails. M’imprégner de l’environnement en suivant un rythme constant. J’ai déjà parcouru plus de 50 km. Le soleil réchauffe ma peau et le t-shirt humide refroidit le haut de mon corps.
Je vois deux coureurs loin devant moi. Ils courent sur quelques mètres puis se remettent à marcher. Ils ont visiblement plus de peine que moi à trouver le bon tempo après cette pause. Après deux ou trois kilomètres, je cours à nouveaux avec fluidité en suivant mon rythme tranquille et rattrape bientôt les deux coureurs. Après un long passage dans des forêts et pris d’une transe légère, je parcours les kilomètres suivants en direction de Wengen et suis heureux de courir sous les vivats des spectateurs. Je remplis ma gourde, contrôle encore une fois ma nourriture et poursuis ma route. C’est ce passage que je redoutais le plus. Je suis donc le rythme le plus rapide et régulier possible. La montée de Wengen à Männlichen est raide, étroite et exposée. Après plusieurs paliers et lacets, mon pouls est au maximum. Les applaudissements que j’entends au loin me font savoir que j’ai bientôt atteint le sommet et surmonté la plus longue montée. Ce fut effectivement mon passage le plus rapide sur les 101 km au total.
Les kilomètres suivants vers la Kleine Scheidegg ne présentent aucune difficulté particulière. Je ne dois me faire violence que lorsque le parcours monte sur la piste de ski raide. La seule chose qui me permet de continuer est l’espoir que la prochaine descente sera plus douce.
Je suis à bout lorsque j’atteints la Kleine Scheidegg et m’octroie une pause un peu plus longue, où j’accepte un massage et un refroidissement pour mes genoux, qui menacent de se briser.
C’est ici que tout s’effondre. Je commence par une montée raide, beaucoup moins douce que prévu. Il faut redescendre avant de pouvoir remonter par la moraine du glacier de l’Eiger en direction de l’hôtel Scheidegg. La moraine semble ne jamais se terminer. Ce passage, qui paraissait court sur la carte, est interminable. Toujours tout droit. Montée toujours plus raide. Et l’hôtel est à peine visible.
J’arrive d’une manière ou d’une autre au sommet, où je cherche désespérément un poste de ravitaillement. Je verse un remontant dans mes gourdes remplies de coca, avale un gel afin de faire grimper mon taux de sucre et cherche mes écouteurs. J’ai désormais besoin du plus petit brin de motivation pour ne pas m’asseoir là et mettre fin à toute cette entreprise.
Grâce à de vieux hits, un niveau élevé de caféine et un taux de glucose dans le sang d’un garçon de douze ans à Pâques, une charge d’adrénaline explose soudain dans mon corps et mon pouls commence à remonter.
Le magnifique paysage – la vallée brille dans le soleil couchant et la face nord de l’Eiger prend des reflets dorés – réchauffe encore l’atmosphère et je me réveille de mon cauchemar, alors que m’attend un chemin sablonneux et parsemé de grosses pierres rondes.
La dernière montée – de Grindelwald au Pfingstegg – est juste devant moi. La lampe frontale dessine un chemin dans la pénombre et je ne distingue devant moi que quelques irrégularités et paliers. Impossible de distinguer la fin du chemin ou une station de ravitaillement. Je me trouve également hors du champ de vision des autres coureurs. Le taux d’adrénaline s’amenuise à nouveau et la caféine ne fait déjà plus effet. Ici, sur la dernière montée, je me motive en pensant que ma copine m’attend en haut, à la station de Pfingsteggbahn. Elle a fait le voyage jusqu’à Grindelwald après son travail rien que pour me voir, et je suis impatient de la retrouver enfin.
Je vois un grand projecteur. Ce doit être le poste de ravitaillement. Je m’assieds, refais mes réserves de sel et me réchauffe avec du bouillon. Peut-être qu’elle m’attend au restaurant. Je lui écris un SMS. Aucune trace d’elle.
Je viens de commettre la plus grosse erreur de toute la course. Je ne me trouve visiblement pas au poste de ravitaillement du Faulhorn, mais seulement au restaurant Marmorbruch. Il reste encore 400 m de dénivelé jusqu’en haut. Très frustré, je tente d’atteindre le sommet le plus rapidement possible.
Une fois en haut, je ne peux pas m’attarder longtemps. La seule chose que je veux, c’est terminer la course et rentrer à la maison. Je prends vite une gorgée de bouillon. Je me sens mal et j’ai froid. Il faut que je continue. Merci Sandra, mais nous nous retrouverons en bas.
Cette dernière descente exige que j’y mette mes dernières forces. Je n’écoute plus mes douleurs. Je suis si fatigué que je ne ressens plus que l’agréable sensation que me confèrent mes manchettes et que je ferme les yeux. La batterie de mon téléphone est à plat, tout comme ma montre. Silence total. Seuls les bruitages nocturnes de la forêt m’accompagnent sur le chemin menant à Grindelwald.
Dans le village, l’ambiance a faibli depuis longtemps. La plupart des coureurs sont arrivés à destination ou ont abandonné la course pour cause de fatigue. Les rares personnes au bord de la piste sont des supporters qui attendent leurs coureurs. Ils me regardent avec autant d’espoir que je les regarde.
Le dernier kilomètre arrive enfin. Je puise une nouvelle fois toutes les forces possibles dans mes jambes, car je veux tout simplement en finir.
Lorsque je passe la ligne d’arrivée, l’horloge indique précisément 19 heures et 25 minutes. J’ai donc terminé la course en moins de 20 heures.
Mes jambes ne me portent plus. Dans un dernier élan, j’arrive à me coucher sur une chaise longue où je m’endors presque. Sandra arrive avec une couverture en laine. Je lui demande d’aller chercher ma voiture. Durant la nuit, je ne sais pas comment me coucher tellement mes genoux me font mal à cause des descentes raides. Je ne participerai plus jamais à cette course. Pourtant, j’en suis très nostalgique. Les souvenirs n’ont pas de prix.
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