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Des profondeurs vers les sommets

Thomas Ebert, mardi, 05. mai 2020

Toutes les 11 minutes, un célibataire tombe amoureux sur Parship, et
toutes les 7 secondes, un mousqueton de Petzl est ­fabriqué. La différence : les mousquetons de Petzl sont nettement plus durables. En visite chez Petzl.

Un vin de qualité doit disposer d’un bon terroir. On doit pouvoir déceler ses racines, ses origines. Petzl, entreprise située dans le Val d’Isère, blottie sous les flancs de la Dent de Crolles, dispose, elle aussi, d’un tel terroir. Sans la présence de ce massif montagneux, l’entreprise n’aurait peut-être même jamais vu le jour. En 1936, Fernand Petzl commence à explorer le réseau de grottes de la Dent de Crolles et fabrique, dans ce but, son propre équipement. Jusque longtemps après la Seconde Guerre mondiale, on progresse dans les grottes avec des échelles ; ceci est considéré comme trop peu commode par Petzl qui préfère les cordes. En 1968, il commercialise, en utilisant son patronyme, les premiers bloqueurs et descendeurs, conçus pour être utilisés dans des grottes. L’entreprise Petzl est officiellement créée en 1975.

Actuellement, il est difficile d’imaginer que Petzl doit son origine à la spéléologie. En effet, sous la direction de Paul Petzl qui s’est rapidement engagé dans l’entreprise et assume aujourd’hui le rôle de directeur général, la marque a exploré deux autres secteurs, acquérant ainsi une réputation internationale : les sports de montagne et les travaux professionnels effectués en hauteur. Désormais, Petzl compte 1000 collaborateurs, réalise un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros par année, détient quelque 500 brevets et fabrique quotidiennement 30 000 nouveaux produits. Tout cela sans compromettre le terroir car, à l’exception d’une fabrique de couture pour les baudriers et les sangles située en Malaisie, tout se passe à Crolles ou dans les environs proches, sans influence d’investisseurs externes. 

La confiance c'est bien, le contrôle c'est mieux

À Crolles, à la sortie du tortueux « Village Petzl » qui n’a cessé de s’agrandir au cours des années, on voit s’élever de loin une tour de quelque 25 mètres : il s’agit du centre V.axess. À l’intérieur, la tour évoque une salle d’escalade dénoyautée disposant de murs coulissants, des treuils et de nombreuses traverses de montage, habituels dans les foires et les concerts. Des modèles de Grigri, aussi bien anciens et actuels que futurs, sont actuellement testés sur des cordes extrêmement boueuses, afin de comparer leur efficacité avec une utilisation sur des cordes propres ; chez Petzl, on teste à toute heure de la journée. Seul l’entrepôt à rayonnages hauts ,construit en 2012, est plus grand par ses dimensions et son importance. Dans cette surface de 7000 mètres carrés, on stocke tout ce qui peut être contenu dans une caisse en plastique de 60 cm de long : du rivet au piolet terminé. 72 000 caisses (prix unitaire : 11 €) sont actuellement en circulation, et un tiers de la surface de stockage n’est pas encore utilisé. Livraisons, préparations des commandes, envois : rien n’est possible sans un entrepôt entièrement automatisé. « L’entrepôt constitue l’épine dorsale de l’entreprise », déclare Dominique Carrasco, responsable de l’exploitation du site de Crolles. « Sans ce bâtiment, nous aurions besoin de 60 collaborateurs en plus. Il nous permet donc d’investir plus d’argent dans le développement de produits. » Si l’on entend beaucoup parler du développement de produits à Crolles – 60 ingénieurs travaillent uniquement dans le domaine des lampes frontales – on n’en voit absolument rien. Juste une porte fermée, ornée d’un smiley avec une fermeture éclair à la place de la bouche, qui exige la confidentialité.

Le directeur des ventes, Jean-Philippe Birmelé, travaille chez Petzl depuis 13 ans. Celui que tous appellent Jean-Phi nous guide à travers les halles de production. Quelque chose saute immédiatement aux yeux : ici, rien n’est laissé au hasard. Des instructions concernant chaque étape sont accrochées à tous les postes de travail, le suivi de la production est noté à la main sur des dizaines de tableaux magnétiques, une place est définie pour chaque chariot avec un ruban adhésif au sol. Selon Birmelé, Petzl se base sur l’efficace système Lean Production de Toyota, supposé réduire le gaspillage et le surcroît de travail grâce à une définition des processus la plus précise possible. La date du 5 mai 2011, incarnant le jour où un jeune homme a fait une grave chute sur une via ferrata de Grenoble, n’y est pas étrangère. De fait, une couture de sécurité défaillante sur le kit de via ferrata de Petzl en était à l’origine. « Paul Petzl en a été très affecté », raconte Birmelé. « À la suite de cet accident, la marque a opéré un changement de philosophie. » Un réseau de contrôles manuels et automatisés a été mis sur pied. Une surveillance vidéo, une vérification au laser ainsi que des contrôles aléatoires et des rapports doivent permettre d’éliminer les pièces défectueuses le plus rapidement possible. Aucune ligne de production ne peut être réalisée par une seule et même personne ; au moins un contrôleur est responsable de la mise en service. Des pièces en verre abritant des surveillants sont installées dans plusieurs endroits de la salle. Un système de feux de signalisation s’étire à travers les lignes de production, notifiant les problèmes.

Made in France

Le train circule très régulièrement. Il collecte les ­produits finis et le rebut, tout en ramenant de l’entrepôt des pièces nécessaires à la production. Tandis que le travail ­manuel est important pour la fabrication du Grigri et des casques, la fabrication de lampes frontales, notamment, est presque entièrement automatisée : en l’espace de 15 secondes, un robot soude les LED sur la platine, monte le réflecteur de lumière, visse le boîtier et teste le fonctionnement de la lampe. « Si on le faisait à la main, cela prendrait une minute et demie », affirme Birmelé.

L’évolution de la marque en l’un des principaux équipementiers de sports de montagne est étroitement liée à l’entreprise Charlet Moser qui fabriquait des ­crampons et des piolets à quelque 40 kilomètres de Crolles. De fait, en l’an 2000, Petzl a racheté l’entreprise et ses 30 colla­borateurs, avant de la développer. Aujourd’hui, une centaine de collaborateurs travaillent dans la « forge » de Petzl : ici, on fabrique des mousquetons, des crampons, des piolets et des broches à glace. Deux fois par jour, un bus fait la navette entre Crolles et Rotherens pour acheminer des pièces détachées et des produits finis. À Rotherens, la production est soutenue : toutes les cinq secondes, une ébauche est formée à partir de bâtons en alu de l’épaisseur d’un doigt et d’une longueur de quatre mètres. Celle-ci passe ensuite dans des presses et des ponceuses afin d’être transformée en mousqueton. Le montage du doigt est effectué à la main au moyen d’air comprimé. La gestion de la qualité étant la même qu’à Crolles, les dimensions du mousqueton sont immédiatement vérifiées par des lasers. Le mousqueton ne tombe du tapis roulant qu’après avoir été estampé, enregistré dans le système de gestion des marchandises et photographié sous toutes les coutures. On en fabrique 8000 pièces par jour.

Ergonomie, confort d’utilisation et simplicité : selon Jean-­Philippe Birmelé, les produits Petzl se définissent par ces trois caractéristiques. On pourrait y ajouter la minutie. « Nous développons nos produits lentement ; du cahier des charges au produit final, il faut compter trois ans », explique Birmelé. À Crolles, on prend même en compte l’influence de l’humidité de l’air sur l’extensibilité des cordes. Un second centre de test pour la recherche sur les matériaux est en cours de construction. On a, par exemple, longuement peaufiné la création d’une broche à glace dotée de trois dents plutôt que quatre. Cependant, au moment de la visser, la glace commençait déjà à s’effriter. Les bonnes choses exigent du temps, exactement comme pour les bons vins français.

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