Mi-janvier, quand j’ai participé à la journée de test de skis de randonnée organisée par Bächli aux Diablerets, j’étais bien loin de m’imaginer que je revivrais le même tourbillon passionné que j’avais vécu, il y a près de 15 ans, lors de ma découverte de la plongée sous-marine dans le lac de Neuchâtel. Cette expérience m’avait alors amenée à déménager à Kas (prononcez «cache»), dans le Sud de la Turquie, pour travailler, pendant trois ans, comme guide de plongée et photographe sous-marine.
Pour la petite histoire, mon séjour en Turquie a finalement duré treize ans. Je suis rentrée en Suisse, il y a un peu moins de deux ans. Alors, cet hiver, quand l’opportunité s’est présentée de chausser des skis de randonnée et de (re)découvrir l’espace alpin le temps d’une journée test, je n’ai pas hésité une seconde. Je me sentais un peu gauche et ignorante avec tous ces nouveaux termes et expressions. Sans parler du matériel évidemment. Une fois lancée dans la nature et devant l’immensité blanche, impossible de ne pas penser au risque d’avalanche et à ses conséquences vitales. Bizarre, je connaissais ce sentiment, alors que je n’avais jamais fait de ski de randonnée. Peur sous-jacente, trop de paramètres inconnus, impossibilité de contrôler la situation. J’avançais dans ce décor blanc et ma gorge se nouait sans raison. Je me suis retrouvée, d’un seul coup, projetée dans le passé: je n’étais pas entourée de montagnes, mais harnachée d’un lourd équipement et je m’enfonçais sous l’eau. Autre élément, même peur. Quand j’ai commencé la plongée sous-marine, à chaque expiration, je pensais que j’allais ne jamais revoir la surface. Et maintenant, à chaque passage un peu raide et fortement enneigé, j’avais l’impression que l’amas de neige n’attendait que mon passage pour se décrocher sous mes lattes. J’ai rapidement réalisé qu’il fallait que je comprenne mieux la montagne pour y évoluer avec sérénité.
J’ai multiplié les sorties. En petit ou grand groupe, avec des personnes dont l’expérience, la condition physique et l’âge étaient différents. J’ai utilisé la même «méthode» que lors de mes débuts dans les univers de la plongée, de l’ultra trail, du triathlon et de la voile: humilité, envie d’apprendre et capacité d’adaptabilité associés à la pratique de l’activité avec un spectre varié de personnes. J’ai été claire sur le fait que j’avais beaucoup de connaissances à acquérir, j’ai écouté les conseils et les remarques et je me suis adaptée aux différents groupes.
Physiquement, tout se passait bien, mais ma peur des avalanches n’avait pas disparu. Dans mon apprentissage de la plongée, l’obtention de mon brevet «Rescue diver» avait été le déclic pour me sentir sereine sous l’eau. Connaître les procédures pour sauver une plongeuse ou un plongeur en détresse et comprendre empiriquement les risques physiques et conséquences d’un accident de plongée m’avait rassuré, car je n’extrapolais plus sur de potentiels risques, ni n’étais hantée par des histoires rapportées d’accidents évités de justesse. Dans le monde de la montagne aussi, les histoires de sorties qui ont presque mal tourné ne manquent pas. J’ai décidé de suivre un cours avalanche. Les exercices pratiques pour retrouver une personne enfouie dans la neige, les scénarios d’analyses du terrain et les explications théoriques ont eu le même effet que l’obtention de mon troisième niveau de plongée, mon anxiété a presque disparu.
Je me suis aussi souvenue que posséder mon propre matériel et lui faire confiance avaient aussi diminué mon stress quand j’évoluais au sein de milliers de poissons colorés à plusieurs dizaines de mètres de la surface. J’ai donc pris rapidement la décision d’acquérir mes propres skis, mes chaussures et tout le matériel de sécurité.
Toujours prête à relever des défis, je n’ai pas hésité une seconde quand deux amis m’ont proposé de les accompagner pour la traversée des Alpes uranaises entre Realp et Engelberg. Tout à coup, tout s’accélérait, des sentiments contradictoires naissaient en moi. Aurai-je vraiment le courage et la condition physique d’enchaîner quatre jours de ski de randonnée? Serais-je à même de contrôler la peur quand elle apparaîtrait? J’ai rassemblé mon courage, j’ai décidé de faire confiance à la vie et j’ai dit oui. Plus motivée que jamais, j’ai pris le temps de faire davantage de sport en me créant du temps libre le soir après le travail, tout en préparant mon matériel. J’avais l’impression de contrôler la situation, donc j’étais apaisée. Et puis, il a commencé à neiger. Pas une ou deux heures, mais des jours durant. Je ne pouvais pas y croire, ou plutôt je ne voulais pas y croire. J’étais si fière de moi d’être parvenue à contrôler la situation, à gérer mes peurs et l’incertitude. En 2023, la vie est facile, tout est contrôlable et planifiable. Mais la nature venait de me rappeler que ce n’était pas le cas. Après de longues discussions et l’analyse des conditions météo dans d’autres régions, il s’est avéré qu’il était impossible de partir, pour plusieurs jours, à l’assaut de sommets alpins qu’il soit suisses, français ou italiens.
Histoire de ne pas me laisser gagner par la frustration et la démotivation, j’ai immédiatement décidé d’agir en planifiant un autre tour. J’ai trouvé, un peu par hasard, sur Internet, un tour où il manquait un·e participant·e. Le guide de haute montagne était d’origine français, mais le tour avait lieu en Suisse. Intérieurement, j’aurais préféré que le tour ait lieu en dehors de nos frontières, car je sais que j’aurai la possibilité de découvrir les sommets suisses avec des ami·e·s ou le Club alpin suisse les hivers à venir. Mais, j’ai finalement décidé de m’inscrire pour cette expédition autour de la Dent-Blanche avec un départ de Zinal. Je me sentais un peu comme un lion en cage, je m’étais préparée tant mentalement qu’au niveau du matériel. J’en avais assez de subir les aléas de la météo. Si ce tour était garanti, finalement c’était l’important. J’allais enfin me retrouver entourée de sommets enneigés pendant cinq jours et pouvoir tester mes limites.
Le jour avant le départ de ce tour, en guise de dernière préparation et test ultime de tout mon matériel, je me suis lancée dans l’ascension du Petersgrat (3194 m), dans le Loetschentstal. Après plusieurs heures sans réseau, mon téléphone vers la fin de la descente n’arrêtait pas de biper. Appels manqués, SMS, messages Whats App. J’ai découvert que le guide du tour, qui commençait le lendemain, avait essayé de me contacter pour m’annoncer que les conditions météo en Suisse ne s’annonçaient absolument pas favorables. À la lecture des premières lignes de son message, je me suis effondrée. J’avais l’impression que le sort s’acharnait contre moi. Et si c’était l’univers qui essayait de me faire comprendre qu’il était trop tôt pour moi de partir pour un raid de plusieurs jours? Mais, j’ai terminé le message en éclatant de rire. Le tour n’était pas supprimé, mais il aurait lieu dans le Massif des Écrins en… France! Je me suis rappelée la période où j’habitais en Turquie et pendant laquelle je plongeais chaque jour en mer. Combien de fois, alors que le bateau se rendait sur un site de plongée, nous devions changer de cap en raison des courants ou de la mauvaise visibilité. Tout l’équipage souriait alors, car selon la croyance turque résumée par «un mal pour un bien», quand un imprévu se produisait, c’était pour une bonne raison, voire pour échapper à un événement malheureux!
Après une nuit de sommeil trop courte, me voilà passant en voiture le col de la Forclaz encore plongé dans la nuit. Il était 7h quand j’arrive à Chamonix pour retrouver mon guide et les autres participant·e·s. Je suis un peu déboussolée, je ne peux plus reculer, l’aventure commence. Nous chargeons nos équipements respectifs dans la voiture du guide. C’est le début de trois heures de voiture supplémentaires jusqu’à la Grave. J’ai de la peine à réaliser que l’expédition dont je rêve depuis plusieurs semaines est sur le point de commencer. Au moment d’enfiler mes skis, de serrer mon sac, j’ai eu une grosse poussée d’adrénaline en me rappelant qu’exactement trois mois auparavant, je chaussais pour la première fois des skis de randonnée et que dans l’excitation du moment, j’avais fait ma toute première ascension avec les chaussures serrées au maximum...
Sincèrement, je ne me sens qu’à moitié à ma place. J’ai le cœur qui bat trop fort. Jusqu’à aujourd’hui, ma résilience et ma volonté m’ont toujours ramené vers la surface quand je plonge, au port quand je navigue et aux lignes d’arrivée de toutes les courses auxquelles j’ai participé.
J’ai pris une grosse bouffée d’oxygène et j’ai décidé que j’étais prête. À la vue des sommets apparaissant à l’horizon, je me sens heureuse, mais aussi habitée d’un certain sentiment de respect. Les dernières semaines, rythmées par les changements constants dus aux conditions météorologiques, m’ont fait réaliser que partir en montagne demande une certaine patience. Je pense bien que je jouerai avec certaines de mes limites physiques et mentales, pendant mes cinq jours à venir dans le Massif des Écrins. Mais je ne m’imagine pas que je me retrouverai dans une situation me demandant à nouveau de devoir faire preuve d’autant d’humilité. Cette fois-ci, il ne s’agira pas de décider de changer le lieu ou la date d’une sortie en montagne. Mais il s’agira de renoncer. Se trouver juste en face du Dôme des Écrins, qui aurait dû être mon premier sommet de plus de 4000 mètres, et avoir la sagesse de décoder les signes de la nature et faire une croix sur l’ascension. Le récit de mes cinq jours à parcourir le Massif des Écrins et à découvrir de nouveaux territoires émotionnels se trouvent ici.
Ce texte a été traduit automatiquement de l'allemand. Le texte original est disponible sur notre site allemand.
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