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La limite de la légèreté

Thomas Ebert, vendredi, 12. janvier 2024

L’équipement de sport de montagne actuel doit non seulement être léger, mais également respecter des exigences de sécurité et de solidité élevées. Nous avons demandé à nos sélectionneurs de produits si le résultat est à la hauteur des promesses et quels sont les compromis que les clientes et clients sont prêts à accepter.

Le salon international des articles de sport ne s’est pas encore complètement remis des conséquences du Corona, mais il continue à juste titre d’être considéré comme le « salon phare » dans les domaines de l’outdoor et des sports de montagne. Ceux qui n’étaient pas présents à Munich fin novembre – et c’était le cas de nombreux fabricants de renom – peuvent tout de même se rendre compte des innovations qui arrivent sur le marché grâce aux récompenses remises, les fameuses ISPO Awards. La presse « Outdoor & Hiking » en témoigne bien. On y lit par exemple à propos d’un sac de couchage qu’il serait « ultraléger et particulièrement robuste », à propos d’une veste qu’elle « se distingue des autres par son poids particulièrement bas et à son niveau de fonctionnalité très élevé », à propos d’une couche de base qu’elle « procure un maximum de chaleur pour un poids minimal tout en étant particulièrement agréable au toucher ». Faisant l’éloge d’un énième sac de couchage, le jury confirme l’impression déjà bien établie du lecteur que « des innovations extraordinaires sont nécessaire pour voir débarquer des nouveaux produits vraiment intéressants dans la catégorie lightweight ». 

À celles et ceux qui, un peu dubitatifs, pensent que les seuls progrès encore possibles sont des mousquetons gonflés à l’hélium, nous devons admettre que dans le domaine des sports de montagne, les publicités réunissant en un seul produit des caractéristiques à priori contradictoires sont une longue tradition. En 1930 déjà, un magasin de sport de Dresde vantait un piolet tout ce qu’il y a de plus classique de « racé – léger – puissant ». Mais quiconque a déjà planté une pointe de métal dans la glace aura pu se faire sa propre opinion à propos de la compatibilité entre « léger » et « puissant ». Revenons un peu à Salon des articles de sport l’ISPO. Bien plus révélatrice que des promesses plus ou moins identiques renouvelées année après année, voici l’appréciation d’une autre veste primée : « cette veste vise les alpinistes modernes, qui souhaitent économiser quelques grammes sur leur équipement tout en se sentant bien protégés des éléments naturels. » 

Économiser avec une protection totale, ou : monter sans efforts, profiter sans regrets, gagner sans renoncer – telle est visiblement la ligne de conduite actuelle pour les constructions légères dans les sports de montagne. Mais le résultat est-il à la hauteur ? Quels sont les incidences positives et négatives engendrées par la tendance omniprésente du « lightweight » depuis des années, voir des décennies ? Profitant de 50 années d’expérience accumulées au sein de Bächli Sports de Montagne, nous avons interrogé à ce sujet deux de nos sélectionneurs de produits.

Entre exagération et révolution 

Matthias Schmid sélectionne les produits du domaine hardware. Il confirme l’impression que, ces dernières années, les clients ont effectivement très bien intégré le principe que chaque gramme compte – peut-être même plus que tout. « Mais tout le monde a aussi déjà fait de mauvaises expériences à ce sujet », pense Schmid à propos d’attentes parfois surdimensionnées. « Un sac à dos qui n’est pas confortable n’est pas une bonne affaire, même s’il est léger. » Il en va de même dans le secteur des skis : « un ski ultraléger conçu pour la montée sera effectivement exceptionnellement agréable à la montée » continue Schmid, « mais pourra- t-il vraiment se montrer convainquant à la descente dans une mauvaise neige et avec un sac à dos lourd ? » Lors de l’entretien de vente, notre rôle est de raisonner quelque peu les attentes trop élevées et de trouver pour chaque client le produit qui finalement lui conviendra le mieux. 

Markus Liss, qui s’occupe quant à lui de l’achat des textiles, mais qui a également travaillé à la vente de plusieurs catégories de produits, est également d’avis que la course à la légèreté a été un élément moteur de l’innovation ces dernières années. Mais il souligne les exigences élevées en matière de sécurité, surtout pour les sports de montagne pratiqués à haute altitude : « Nos clients attendent beaucoup de leur équipement et n'aiment pas faire trop de concessions sur la durabilité juste pour économiser quelques grammes. » 

Sur le fond, Schmid et Liss s'accordent à dire que d'immenses progrès ont été réalisés en matière de poids au cours des dernières décennies. « Une évolution impressionnante », dit Schmid, « concerne le développement des mousquetons. Ceux-ci sont toujours aussi fiables, mais nécessitent nettement moins de métal qu’autrefois ». Selon Schmid, le passage des cordes en chanvres aux cordes modernes constituées d’une gaine et d’une âme peu après la seconde guerre mondiale a profondément contribué à la démocratisation de l’escalade. Cette évolution fondamentale a été possible grâce aux matières synthétiques qui ont rendu le produit non seulement beaucoup plus sûr, mais aussi incroyablement plus léger. Quelques années plus tard, une autre révolution a eu lieu dans le domaine textile, lorsqu’on est passé du coton au polyester, puis aux membranes fonctionnelles. « Cela a constitué la naissance de l’industrie outdoor actuelle, qui coïncide presque parfaitement avec le cinquantième anniversaire de notre entreprise », fait remarquer Liss. 

Schmid souligne quant à lui l’énorme bond qui a été accompli dans le domaine du ski de randonnée. Les chaussures de ski de randonnée actuelles n’ont pratiquement plus rien à voir avec leurs ancêtres. Depuis une quinzaine d’années, des matériaux comme le grilamid ou le recours au carbone ont permis le développement d’un nouveau segment, celui des chaussures de ski de randonnée « orientées vers la montée ». Si l’on considère les fixations, c’est la même chose : il y a moins de dix ans que les ventes des fixations à inserts ont dépassé celles des fixations à cadre. Et aujourd’hui, on ne pourrait plus imaginer s’en passer ». Schmid souligne encore qu’au début, les fixations à inserts étaient exclusivement dédiées à la compétition et à quelques fanatiques de légèreté.

La Scarpa Denali XT (à gauche) était une chaussure très appréciée au tournant du millénaire, en particulier par les adeptes du freerando appréciant particulièrement les descentes (on ne les aurait pas encore appelés ainsi à l'époque). Selon la pointure, la paire pesait entre trois kilos et demi et quatre kilos. Les inserts n'existaient pas. Deux générations plus tard, le 4-Quattro SL de Scarpa, pèse nettement moins de trois kilos en 2023 et devrait dépasser de loin le Denali en termes de rigidité et de plaisir à la descente.


Déjà au sommet ou encore en pleine ascension ? 

Dans le domaine du ski en particulier, certaines innovations comportent également des aspects moins reluisants, estime Marcus Liss, qui a lui-même travaillé dans la vente de skis. Il voit la chasse aux grammes à tout prix avec un peu de scepticisme : « les carres de plus en plus fines et les semelles de plus en plus minces font augmenter le nombre de réparations, c'est indéniable ! » constate Liss. « Certains fabricants flirtent plus avec la limite que d’autres. Mais au final, notre rôle consiste précisément à ce que le client opte pour un produit qui fonctionnera bien pour lui. ». D'autre part, il évoque la comptabilité des skis, des fixations et des chaussures. Selon lui, les commandes en ligne permettent des combinaisons qui peuvent de prime abord sembler attractives : un ski très large, une fixation de course hyper minimaliste et une chaussure de ski de randonnée légère. 

« C'est même une tendance assez claire de ces dernières années », estime Liss, « Mais le résultat final en termes de skiabilité n'est souvent pas si extraordinaire que ça ! » Liss prédit pour ce domaine l’apparition de systèmes, c'est-à-dire des fixations, des chaussures et des skis conçus pour fonctionner parfaitement ensemble. Pour l'instant, chaque fabricant développe son propre univers au sein de sa marque « ce qui rend la combinaison de certains produits parfois laborieuse ». 

Schmid, Liss et leurs collègues du département des achats de Bächli Sports de Montagne effectuent une sélection en amont pour éliminer les moutons noirs, qui existent dans tous les segments de produits. « Il est plutôt rare de rencontrer des produits si légers que la sécurité s’en retrouve compromise » explique Schmid. « Mais nous fixerions ici une limite claire et ne proposerions un tel produit dans notre assortiment que sous certaines conditions ». Dans le domaine textile, Liss évoque la tendance de ces dernières années à renoncer aux laminés triple couches traditionnellement utilisés pour les vestes fonctionnelles. « Nous avons même vu des laminés 1,5 couches avec une membrane directement apposée sur un textile porteur. Mais en raison de leur fragilité, ces produits ont plus ou moins disparu du marché », admet Liss. 

Son collègue Matthias Schmid prédit une évolution similaire dans le domaine des cordes : « pour les cordes d’alpinisme, la tendance est en train de s’inverser et les cordes plus épaisses de 9 ou 9,5 mm de diamètre regagnent du terrain en haute montagne. Les cordes ultra fines présentaient une usure trop élevée et une réserve de sécurité un peu trop limitée. » Les experts Liss et Schmid pensent tous deux que les limites de la construction légère sont doucement atteintes : dans le domaine de l’escalade il y a peu de chances qu’on puisse un jour planter un piton avec un marteau de 25 grammes. Il en va de même avec le duvet naturel : « avec les techniques d’imprégnation et la sélection de duvet ultrafin de 1000 cuin, le maximum est atteint », estime Liss, « et parallèlement, les duvets synthétiques s’en approchent de plus en plus ». 

Comment se poursuivra donc le voyage de la construction légère ? Le spécialiste des textiles Liss estime que la course à la légèreté va ralentir, également pour des raisons de durabilité. « Personne n’accepte d’avoir des trous dans sa veste après trois ou quatre jours d’utilisation en montagne juste parce qu’elle est 200 grammes plus légère » continue Liss. Les alpinistes surveillent certes le poids de leur équipement, « mais les vestes triple couches traditionnelles représentent toujours nos meilleures ventes », décrit Liss, esquissant un portrait un peu plus contrasté et également plus rassurant de « l’alpiniste moderne » qui ne jurerait que par les grammes. 

Pour le spécialiste du matériel technique Schmid, le voyage n’est pas encore arrivé à son terme : « les sports de montagne ont toujours été en évolution. De nouveaux matériaux ou de nouvelles constructions peuvent offrir de nouvelles perspectives. » Mais lui aussi conseille une certaine retenue lorsqu’un produit particulièrement léger est censé exceller dans tous les domaines. « Le meilleur équipement pour une personne en particulier ne sera pas forcément le plus léger. » En définitive, c’est précisément ce qui constitue la limite la plus importante pour l’équipement de montagne ultra léger : ce que l’être humain est prêt à accepter.

Le "bon vieux temps" ou aujourd'hui tout est plus léger = mieux ?

En matière d'équipement pour les sports de montagne, tout n'était certainement pas mieux avant. Il y a encore quelques décennies, un seul produit était proposé pour la plupart des équipements de montagne. Ce produit devait convenir au plus grand nombre d’alpinistes possible. Ce n'est qu'avec l’arrivée du façonnage moderne et des matières synthétiques que des produits aussi utiles que des cordes avec gaine et âme résistants à la déchirure, des vestes triple couches résistantes à l’eau et au vent ou encore des rembourrages en duvet hydrophobe ont pu voir le jour. Ces innovations nous facilitent grandement la vie en montagne.

La bonne nouvelle pour les adeptes des sports de montagne : grâce au kevlar, à l’aramide, au carbone, au Grilamid, au Dyneema & Cie les chaussures, les baudriers, les sacs à dos et plein d’autres pièces d’équipement perdent chaque année du poids. Mais : parfois, la robustesse et la polyvalence tendent à disparaître en même temps que les kilos. Le domaine d’utilisation des produits ultralégers devient de plus en plus spécifique et leur durée de vie de plus en plus courte. Reste à savoir si la tendance du poids plume a ainsi atteint son zénith. 


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