Il y a des grondements et le moteur du minibus ne cesse de hurler. Nous roulons sur une route forestière à travers la forêt jusqu'au fin fond du pays glaronnais, au pied du Tödi. Nous économisons près de six kilomètres de route. Cela nous arrange, car nous sommes encore assez loin de notre objectif du jour : la cabane de Planura est située sur un éperon rocheux au-dessus du Hüfifirn, à 2947 mètres d'altitude. La montée depuis l'alpage Hinter Sand, où nous descendons du taxi alpin, dure cinq bonnes heures
En attendant, le lendemain, pas trop de mètres de dénivelé nous sépareront du sommet visé : le Gross Schärhorn, qui culmine à 3296 mètres. Une montagne qui reste un peu dans l'ombre de sa voisine, le Clariden. A tort : le Schärhorn se dresse tout aussi imposant dans un monde de glaciers qui fait partie des coins les plus sauvages des Alpes glaronnaises. Et tout comme son voisin plus connu, des pionniers y ont écrit l'histoire de l'alpinisme : En 1863, le Scheerhorn faisait partie de la première "zone d'excursion officielle" du Club alpin suisse (CAS), fondé en 1863.
Il n'existait alors ni taxi alpin ni cabane de Planura. En revanche, une série de naturalistes, de chimistes, d'écrivains et de conseillers municipaux déterminés et intéressés par l'alpinisme. Le 9 août 1863, ils se sont réunis dans la salle de l'ancienne maison de cure Bad Stachelberg dans le pays de Glaris pour planifier leurs excursions - quelles mesures et quels croquis ils voulaient faire, quels sommets ils voulaient escalader au nom du jeune CAS. Mais l'attribution des sommets se heurtait à des difficultés, comme le rapporte le premier président central du club, Rudolf Theodor Simler, dans le premier annuaire du CAS. "Je prie Messieurs les Commilitaires de bien vouloir s'annoncer pour la visite des différents groupes", note-t-il. "Tout le monde s'annonce pour le Tödi". Il s'énerve. "Mais, messieurs", a-t-il lancé à la ronde, "le Tödi a déjà été escaladé x fois. Décidez-vous pour quelque chose de plus spécifique !" Son appel fut entendu. Les détachements partirent bientôt en direction du Bifertenstock, du Selbsanft, du Clariden, du Schärhorn et - certains insistèrent - du Tödi.
Au Horst des Hüfifirns
Nous laissons ce dernier à gauche dans l'accès à la cabane et montons plutôt pas à pas en direction de la Planurahütte. D'abord à travers les broussailles et les buissons, où flotte la chaleur humide du début de l'été, puis sur le haut plateau d'Ober Sand, dont les chalets d'alpage semblent se trouver dans un petit paradis : les méandres de l'Oberstafelbach clapotent à travers les prairies, tandis que des parois rocheuses s'élèvent tout autour de l'alpage. Nous aimerions bien nous coucher ici dans l'herbe, mais le chemin est encore long, alors nous traversons la plaine et continuons à monter à son extrémité. Bientôt à travers des éboulis, la pente devient de plus en plus raide jusqu'à ce que nous atteignions des marches rocheuses que nous franchissons sans peine grâce à des marchepieds et des chaînes. Puis, tout à la fin de l'ascension, nous la découvrons : La cabane Planura se blottit comme un horst contre une tête rocheuse, tandis qu'en dessous s'étend - glaciale, arctique, silencieuse - la surface du glacier du Hüfifirn.
Nous nous sentons un peu transportés dans le temps lorsque nous pénétrons peu après dans la cabane. Nous montons par des escaliers raides dans les dortoirs ; dans le salon en bois, nous nous serrons autour des tables comme des alpinistes sur de vieilles photos. Nous sommes d'ailleurs sept femmes et un homme, nous-mêmes en mission historique : La dernière section du CAS actuel, la nôtre - le CAS Baldern - faisait autrefois partie du Club alpin féminin suisse (CAFS). Et en l'honneur des dames de l'époque, nous avons décidé, à l'occasion du centenaire de la section, de monter sur les mêmes sommets que nos fondatrices. Entre autres : sur le Grosse Schärhorn.
Ainsi, la cabane de Planura correspond parfaitement au plan. Le bol de soupe fumant sur la table en bois, la vaisselle avec l'inscription nostalgique du CAS, les planchers grinçants de la cabane. Oui, même le temps est au rendez-vous : A l'époque comme aujourd'hui, il fait froid et ensoleillé. Ce qui me réjouit particulièrement, c'est ma deuxième tentative au Gross Schärhorn. L'année précédente, une amie et moi étions arrivées à ski de randonnée au pied de la montagne lorsque le foehn a balayé la Chammlilücke, si bien qu'au moment de la descente, nous nous sommes agenouillées sur les skis et le sac à dos pour les retenir. Les capuches relevées, nous sommes redescendus un peu plus tard vers le nord en direction du col du Klausen.
Une petite consolation : même les pionniers de 1863 n'ont atteint Clariden et Schärhorn qu'au deuxième essai. Selon Simler, le premier jour dans la région d'excursion, les uns sont restés "bien coincés dans le brouillard" sur le glacier des Clariden. Les autres ont échoué au-dessus du col du Klausen "à cause d'un mur de glace et peut-être d'un manque de détermination". Lors d'une deuxième tentative, Eugène Rambert de la section des Diablerets et deux Glaronais ont retrouvé les traces de leurs collègues sur le névé du Clariden. Et il a presque réussi à monter sur le Gross Schärhorn. Mais presque seulement : "En suivant les traces, il est arrivé au pied du Claridenstock, qu'il a pris pour le Scheerhorn". Le professeur Rambert s'aperçut de son erreur au sommet : il regarda le Schärhorn - et se trouvait sur le Clariden.
Avancée par le vent
Nous avons la vie plus facile. Lorsque nous nous présentons devant la cabane à l'aube, nous savons exactement quel est le Gross Schärhorn. "Ça tombe bien", nous dit en outre la gardienne de la cabane avant de partir. Elle vient de lire le dernier bulletin météo. Une courte descente sur les rochers, puis nous partons. D'abord le long du bord de la plus grande colonne de vent des Alpes, que le vent constant ronge au bord du Hinter Spitzalpelistock. Puis sur le plateau supérieur du Hüfifirn, qui fait penser à un Antarctique en miniature, avec des sommets qui en émergent comme des nunataks.
Nous progressons en arc de cercle dans cette immensité, vers l'éperon du Chammlihorens. "Si le Hüfifirn était un océan", me dis-je, "il y aurait un phare sur cet éperon". Pourtant, tout semble à portée de main - et pourtant plus loin que prévu. Nous ne nous rapprochons que lentement de la falaise, puis mettons le cap sur la Chammlilücke et nous approchons - toujours sur le glacier - du flanc nord du Gross Schärhorn. Il s'agit ici de passer de la glace au rocher, ce qui semble trivial sur la carte. Mais nous cherchons maintenant un itinéraire vers la montagne dans un labyrinthe de restes de glace et de blocs de roche, jusqu'à ce que nous découvrions soudain un homme de pierre au milieu du chaos. La suite, ce sont des éboulis raides que nous traversons, tantôt en grimpant, tantôt en marchant, toujours en direction de l'arête est. Tandis que des éboulis roulent sous nos pas vers la vallée, j'envie les pionniers. Après l'échec du professeur Rambert, un groupe mené par le Bâlois Leonhard Fininger est monté par le sud et a décidé de monter par le flanc sud-est. Dans mon esprit, je les vois monter de bonne humeur dans la neige tassée. Ce n'est que plus tard que je lirai dans leurs récits que le flanc était nu par endroits et que le guide de montagne Trösch a tenté de tailler des marches. Mais selon Fininger, cela prenait trop de temps et ils se fiaient donc entièrement à leurs crampons. "J'avoue sincèrement que cette affaire m'a paru un peu inquiétante", écrit Fininger à ce sujet. "Même Trösch trouvait le chemin sacrément poussif". Mais ils y sont parvenus. A 9h30, ils étaient au sommet et ont trouvé dans un petit cairn la bouteille et un papier que le Bâlois Georg Hoffmann avait déposés plus de vingt ans auparavant lors de sa première ascension.
Alors que nous montons encore par le flanc nord, ce ne sont pas seulement les éboulis qui m'irritent : des rafales venant de l'arête balayent régulièrement le flanc. Certaines sont si violentes que je me demande comment elles seront ressenties au sommet. Un quart d'heure plus tard, nous le savons : accroupi sur l'arête est, le sommet est à portée de main. Mais en dépit de tous les pronostics, le vent gronde au-dessus de nous, comme si une magie sauvage l'avait fait sortir d'une cachette. Nous nous crions les uns aux autres des mots qu'il arrache, mais nos gestes sont clairs : il faut partir d'ici - retourner sur le flanc ! Les pionniers étaient au sommet, les femmes Baldern aussi. Nous faisons demi-tour. Mais alors que je descends encore, je me promets de revenir sur cette montagne. Peut-être au printemps prochain, à ski de randonnée. Ou après un bivouac sur le glacier du Chammlijoch. C'est toujours bien d'avoir des projets. Le Gross Schärhorn en reste un.
INFOS
Hautes courses Gross Schärhorn, 3294m
Région
Le Gross Schärhorn se dresse dans la chaîne des Clariden, Chammliberg, Chli et Gross Ruchen. Il se trouve dans le canton d'Uri entre la vallée de Schächen et la vallée la plus reculée de Maderanertal, respectivement l'imposante surface glaciaire du Hüfifirn, et offre une course d'altitude en névé et en rocher.
Tour
Montée : Planurahütte-Hüfipass-Hüfifirn-Chammlilücke-Gross Schärhorn, WS, 3,5 h, 450 Hm ; descente : Gross Schärhorn-Chammlilücke-Chammlijoch-Iswändli-Klausenpass, WS, 4,5 h, 1400 Hm.
Il est également possible de monter/descendre par la Chammlilücke. Attention aux chutes de pierres au pied du Chammliberg.
Hébergement
Planurahütte CAS, 2947m, 041 885 16 65, www.planurahuette.ch ; accès depuis Alp Hinter Sand,T3+, 5,5h, 1650m de dénivelé. Le taxi alpin Zimmermann part de la gare de Linthal pour l'Alp Hinter Sand, réservation anticipée au 079/297 55 55.
Approche/retour
Approche en train jusqu'à Linthal et ensuite en taxi alpin jusqu'à l'Alp Hinter Sand ; retour en car postal du col du Klausen jusqu'à Linthal ou Altdorf et ensuite en train, www.sbb.ch
Carte
www.map.geo.admin.chSwisstopo-Landeskarten (1:25'000) : 1193 Tödi, 1192 Schächental
Littérature
Portail des excursions du CAS
"Glarner Alpen - Alpine Touren - Walensee bis Tödi" de Hansueli Rhyner, Ruedi Jenny, Samuel Leuzinger, 11e édition, 2013, CAS Verlag
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